Traduction : Lydia Beutin
Texte de présentation
Marqué depuis sa plus tendre enfance par une rencontre avec Michel-Ange, Aurelio, un jeune paysan d'une rare beauté, se rend à Rome pour se mettre au service du plus grand artiste de son temps.À 33 ans, Michel-Ange s'estime davantage sculpteur que peintre ; pourtant, Jules II, le "Papa terribile" de la Renaissance, s'obstine à lui confier la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine. Juché sur un échafaudage à 18 mètres du sol, sa barbe tournée vers le ciel et la peinture dégoulinant sur son visage, Michel-Ange réussit le tour de force de réaliser ces fresques qui feront sa gloire. Une prouesse qu'il doit essentiellement à l'indéfectible soutien d'Aurelio, sa muse, mais également à la réalisation en parallèle d'une mystérieuse commande qui pourrait bien lui coûter la vie : une sculpture de l'un des personnages les plus sulfureux de la cité éternelle.
Sans jamais s'éloigner de la vérité historique, Léon Morell retrace la période romaine de Michel-Ange, quatre années durant lesquelles, entre jalousies et luttes de pouvoir, il aura su créer l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la peinture de la Renaissance italienne. Un roman haletant, à mi-chemin entre la biographie et le thriller, décrivant sans compromis l'ambiguïté d’une Rome entre grandeur et décadence.
En complément
- Vidéos :
Mon avis : Coup de coeur !
En résumé
Au printemps 1508, un jeune homme d'une grande beauté, dénommé Aurelio, décide de quitter sa famille installée à la campagne pour gagner Rome. Son rêve : travailler pour le grand Michel-Ange et devenir sculpteur. Artiste renommé, Michel-Ange vient justement d'être choisi par le pape Jules II pour décorer la voûte de la chapelle Sixtine à Rome. La rencontre d'Aurelio et sa présence aux côtés de Michel-Ange seront déterminantes dans la réussite de cette oeuvre magistrale...Un roman à la gloire de Michel-Ange
Les sources historiques utilisées pour écrire ce roman ne sont pas indiquées, mais différents détails permettent de supposer que l'auteur s'est fortement appuyé sur les biographies élogieuses de Giorgio Vasari et d'Ascanio Condivi, écrites du vivant de l'artiste et à l'origine du mythe Michel-Ange. Un mythe soigneusement entretenu au cours des siècles suivants, notamment par ses descendants, dont l'un d'eux n'hésita pas à modifier les sonnets écrits par Michel-Ange pour faire taire les rumeurs homosexuelles à son sujet."Fuyez l'amour, amants, fuyez ses flammes vives ;
sauvage est son brasier, mortelle sa brûlure :
dès son premier assaut, il n'est plus rien qui vaille,
ni force, ni raison ni changement de lieu.
Fuyez, n'avez-vous pas la victime exemplaire
d'un bras cruel et d'une flèche pénétrante :
lisez en moi quel pourrait être votre mal,
combien le jeu sera féroce et sans pitié.
Fuyez, ne tardez pas, dès le premier regard :
je pensais m'entendre en tout temps avec l'amour,
mais je sens, mais vous pouvez voir, comme je brûle."
Michel-Ange Buonarrotti, Poèmes, Sonnet inachevé
Ainsi basé sur le mythe Michel-Ange, ce roman met donc en exergue un artiste génial mais torturé, incompris, solitaire, jalousé et harcelé par sa famille. Or, depuis le XIXe siècle, les recherches permettent de brosser un portrait plus nuancé de l'homme. Voici quelques exemples :
- D'après le roman, ce serait Bramante qui aurait suggéré au pape Jules II de confier en 1508 la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine à Michel-Ange, à seule fin de le voir échouer et de précipiter sa disgrâce auprès du souverain pontife. Mais une autre version indique que c'est le pape Jules II qui est à l'origine de ce choix et que Bramante aurait émis, à juste titre, des réserves quant à l'opportunité de confier une tâche aussi complexe à un artiste qui n'avait aucune expérience de la peinture à fresque. Même si Jules II n'était pas d'un caractère commode et que Michel-Ange se considérait avant tout comme un sculpteur, n'ayant que très peu d'expérience en peinture à fresque, ce dernier accepta la commande avant tout pour des raisons lucratives, la somme proposée était exceptionnelle pour l'époque, et il recruta des artistes chevronnés pour l'aider dans cette tâche… il ne créa donc pas tout seul cette oeuvre !
- Le roman suggère également que Michel-Ange, en modifiant la commande de la voûte, a pris d'énormes risques, alors qu'il a en fait établi ce programme en concertation avec les théologiens de la cour papale, soucieux de mixer la tradition païenne et la culture catholique.
- Enfin, contrairement à la légende, l'oeuvre en cours d'élaboration était visible de tous, accueillant artistes, collectionneurs, amateurs d'art, mais aussi personnalités en vue de la cité... nous sommes bien loin de la vision de l'artiste esseulé sur son échafaudage !
Reste que l'absence d'indications concernant les sources utilisées est pour moi problématique. Une fois ma lecture achevée (que j'aurais aimé ne jamais terminer !), je me suis précipitée sur des biographies de Michel-Ange pour en savoir davantage sur sa vie et pour confronter les informations de l'auteur et celles d'historiens. Tout cela pour obtenir une vision plus nuancée et plus vraie de Michel-Ange.
Une commande étonnante
Ce roman nous présente l'oeuvre de Michel-Ange d'une manière très accessible et très claire, nous permettant de bien la situer dans l'histoire artistique, de comprendre les enjeux qui se cachent derrière elle et en quoi elle est révolutionnaire.La chapelle Sixtine, réplique du temple de Salomon et dont la forme s'inspire de l'architecture militaire, a été construite sous le pontificat de Sixte IV, l'oncle de Jules II. Décorée par les meilleurs artistes florentins de l'époque – Le Pérugin, Botticelli, Ghirlandaio, etc. –, la chapelle est, trente ans plus tard, défigurée par des fissures. Il est grand temps de restaurer sa voûte.
En mai 1508, Michel-Ange s'engage à réaliser des fresques représentant les douze apôtres dans les pendentifs et des motifs ornementaux dans les parties restantes. Excepté dans l'atelier de Ghirlandaio, vingt ans plus tôt et seulement de manière marginale, Michel-Ange n'a encore aucune expérience de la peinture à fresque ! Il aurait pu se contenter d'un ciel étoilé, mais il n'hésite pas à se lancer dans la réalisation d'une fresque immense peuplée d'une multitude de figures.
Ainsi, quatre ans plus tard, en 1512, les Romains découvrent une oeuvre révolutionnaire ! Renonçant à la perspective unique, Michel-Ange réalise une oeuvre dans laquelle chaque surface a sa propre perspective centrale : c'est une perspective polycentrique qui ne permet pas au spectateur de saisir depuis un seul point toute la fresque. En divisant la voûte avec des corniches de marbre, il a créé un espace artificiel dans lequel prennent place des scènes de la Genèse, ainsi que les Prophètes et les Sibylles dans les écoinçons et les ancêtres du Christ dans les lunettes. Sans oublier les ignudi, des hommes nus rappelant les génies, assis sur les ressauts des corniches. Un récit donc entièrement centré sur la figure humaine, avec de nombreux nus masculins.
L'absence de planches de visuels des oeuvres de Michel-Ange
Le visuel de couverture, qui s'imposait avec évidence, est magnifique, mais il aurait été intéressant de reproduire dans l'ouvrage des planches en couleurs de la chapelle Sixtine et de ses voûtes, même si cette pratique est plus courante dans les biographies. Car ce roman si visuel dans ses descriptions est d'une telle précision que le lecteur ressent le besoin d'aller vérifier les détails fournis par l'auteur mais est un peu déçu en s'apercevant qu'il n'y a pas une seule reproduction du chef-d'oeuvre de Michel-Ange dans le roman.La description précise du déroulement du chantier
L'élaboration de cette oeuvre inédite est retranscrite de manière minutieuse, sur la base d'une documentation fouillée. De prime abord, la technique de la peinture à fresque n'a rien de très glamour, mais elle se révèle passionnante sous la plume de l'auteur : il parvient à nous y intéresser non pas en nous bombardant d'informations théoriques mais en nous décrivant les faits et gestes des différents artistes de la bottega de Michel-Ange au jour le jour. On découvre ainsi à travers ces personnages les différentes étapes de la peinture à fresque, le quotidien du métier de fresquiste, le déroulement d'un chantier, le fonctionnement d'une bottega et toutes les émotions qui accompagnent une telle aventure : joie, déconvenues, souffrance, etc. Il s'agit véritablement d'un travail d'équipe, qui nécessite une parfaite coordination.En effet, la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine est une entreprise pleine de difficultés : la surface à peindre est immense et très en hauteur, sa forme courbe crée des déformations et impose de peindre la tête tournée vers le haut, l'échafaudage doit permettre aux célébrations d'avoir lieu même pendant les travaux, etc.
Le problème de l'échafaudage est rapidement résolu par Piero Rosselli avec l'installation de sorgozzoni, des tenons en bois fixés dans les murs et qui supportent les passerelles de l'échafaudage. Cette technique, alors courante à Florence, permet de laisser le sol dégagé pour la célébration des cérémonies prévues pendant la rénovation et d'éviter de laisser des trous d'accrochage dans la voûte.
Une fois l'échafaudage mis en place, Michel-Ange inspecte le plafond et doit se résoudre à ôter la fresque existante et poser un nouvel arriccio (couche de plâtre appliquée sur la maçonnerie). En effet, initialement, l'artiste pensait préparer le plafond en martellinatura : la fresque préexistante est percée d'une multitude de trous à l'aide d'un picot, de telle sorte qu'on peut appliquer l'intonaco pour la nouvelle fresque directement sur l'ancien arriccio. Mais, dans le cas présent, la fresque s'est presque détachée de la maçonnerie. Cette tâche, confiée à Aurelio, se révèle assez fastidieuse au point que le jeune homme se démet la clavicule au bout de quelques jours de labeur (merci aux compresses à la ricotta !). En outre, aux heures les plus chaudes de la journée, l'échafaudage devient une fournaise et se transforme vite aussi en bain de vapeur tant il faut d'eau pour mélanger l'arriccio.
Pendant que l'arriccio sèche, Michel-Ange prépare ses dessins à l'échelle réelle sur un carton tandis que son équipe se charge de préparer l'intonaco, l'enduit qui va recouvrir l'arriccio. L'application de l'intonaco demande aussi de la précision : on le pose en strates plus minces que l'arriccio pour éviter que des fissures se forment lors du séchage, et il faut qu'il soit plus régulier que l'arriccio sinon l'intonaco ne prend pas les couleurs de façon uniforme.
Une fois l'intonaco appliqué, il faut appliquer les pigments dissous dans l'eau avant que l'enduit ne durcisse, c'est-à-dire dans un délai de 24 à 48 heures après son étalement. Le carton est alors fixé sur le support par des aiguilles et on reporte les lignes du dessin sur l'enduit. Pour cela, il existe deux techniques de transfert :
- La plus simple et la plus rapide consiste à dessiner les lignes avec un crayon fin, de telle sorte que des rainures fines restent visibles dans l'enduit encore humide.
- La méthode la plus exacte, mais aussi la plus compliquée, consiste à perforer le carton le long des lignes de centaines de petits trous d'aiguille, puis de le "poudrer" avec des petits sacs remplis de poussière de charbon, afin que les lignes soient reportées sur l'intonaco.
Quand la giornata (surface prévue pour la journée) est enduite, on efface ensuite avec des draps humides les traces de l'enduit et on frotte l'intonaco pour le rendre un peu rugueux.
Tout ce travail est réalisé dans des conditions assez compliquées : échafaudage en hauteur, alternance de la chaleur en plein été et du froid en hiver, peu de lumière naturelle, position inconfortable des corps, à la fois tordus et penchés en arrière... Et un travail qui ne tolère pas l'approximation...
Une tâche méticuleuse et exigeante
Bien qu'entouré de fresquistes renommés, Michel-Ange découvre un jour des moisissures sur la quasi-totalité de la fresque en cours de réalisation. Comme l'arriccio est sec, le responsable est l'intonaco qui est trop humide. Fureur de l'artiste qui voit son travail détruit par un manque d'expérience des matériaux romains. En effet, Piero Rosselli, le maître maçon florentin, a l'habitude d'utiliser de la chaux de marbre et du sable de l'Arno, et non de la chaux de travertin et de la pouzzolane. Or, ces matériaux réagissent différemment. Giuliano da Sangallo finit par trouver le bon mélange entre les différents matériaux. L'enduit est entièrement détruit et repeint par Michel-Ange : voilà deux mois de travail détruit...Du fait de son inexpérience et des conséquences dramatiques qu'il a dû affronter au début de son travail, on ne peut qu'être stupéfait de la maîtrise technique et formelle que manifeste Michel-Ange, car il ne fera pas d'autres erreurs par la suite. Erreurs qui auraient pu être les suivantes :
- Du fait des variations d'humidité et de température et d'un travail qui s'étale sur plusieurs années, il est difficile d'obtenir chaque jour la même qualité de mélange et la même qualité d'enduit sur le mur. Le risque est que la différence des "journées" se traduise par des inégalités dans l'étalement et la prise du mortier.
- Les coloris : la couleur se prépare en mélangeant à l'eau un pigment très fin. Mais il suffit de petits changements dans la finesse et la quantité de pigment ou dans son rapport avec l'eau pour que la couleur finale soit différente. Or les coloris doivent être homogènes, au moins dans les parties adjacentes. Mais l'effet final ne peut être contrôlé que lorsque l'enduit est entièrement sec alors qu'il n'est pas possible d'intervenir sur la peinture une fois l'enduit sec.
Michel-Ange, un être torturé mais un génie !
Même si, comme je l'ai expliqué au début de ma critique, le portrait dressé de Michel-Ange est très flatteur et trop conforme au mythe de l'artiste maudit et seul face à l'adversité du monde, il n'en ressort pas moins que Michel-Ange était une personnalité complexe, un être tourmenté, méfiant, colérique, perfectionniste, exigeant avec lui-même comme avec les autres, à la recherche perpétuelle de la perfection, qui ne souffrait pas la médiocrité.Ainsi, un jour, alors qu'Aurelio pénètre dans la chambre de Michel-Ange, une pièce dans laquelle personne n'a le droit d'entrer, il découvre des centaines de dessins recouvrant le sol : ce ne sont pas des esquisses destinées à la voûte de la chapelle Sixtine mais des monstres, des démons… ces démons qui le poursuivent nuit et jour, mais on ne saura rien. En effet, ce roman se concentre sur la portion de vie durant laquelle Michel-Ange a réalisé la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine, mais il n'aborde pas du tout le reste de sa vie, rien sur sa jeunesse, son adolescence ou bien sa vieillesse. D'où viennent ces démons ? Qui sont-ils ? Pourquoi se considère-t-il comme un pécheur et ne trouve-t-il l'apaisement et le pardon que dans la création ? Ce roman n'apporte certes pas de réponses, mais il permet de mieux cerner la riche personnalité de Michel-Ange.
"– Je parle en tant qu'homme, expliqua Michel-Ange, et non en tant qu'artiste. Je croyais être un homme meilleur. Alors que je ne suis qu'un pauvre pécheur tourmenté par de mauvaises pensées, gonflé de vanité. Une créature pitoyable – il se redressa comme pour se débarrasser d'un fardeau ; au fond de ses yeux brillait à nouveau une étincelle combative. En tant qu'artiste, je n'ai de comptes à rendre qu'à Dieu !"
"– Regarde-moi, répondit Michel-Ange en écartant les bras comme un coupable. Que veux-tu que je fasse d'une chemise neuve ? Je suis laid, Aurelio. Même avant que Torrigiani m'écrase le nez, je n'étais pas beau, mais depuis c'est encore pire. Il baissa les yeux. Ma laideur n'est pas digne d'une belle chemise."Avec une telle personnalité, Michel-Ange n'est pas une personne facile à vivre au quotidien, surtout pour les artistes de sa bottega qui finissent tous par quitter le chantier. Ne reste qu'Aurelio et un jeune aide. Car, au fur et à mesure que Michel-Ange se familiarise avec la technique de la peinture à fresque et prend donc confiance en lui, il délègue de moins en moins de tâches à ses collègues qui se sentent alors frustrés, d'où leur départ. Il faut dire que tous sont des fresquistes renommés et ils supportent mal le fait que Michel-Ange s'attribue tout le travail. Par exemple, il n'a laissé à Tedesco que la peinture d'une flaque d'eau, d'un peu de ciel et de deux branches d'arbre de la scène du Déluge !
Des histoires de famille...
Ses biographes ont mis en lumière les relations compliquées que Michel-Ange entretenait avec sa famille, source perpétuelle de contrariétés. Dans ce roman, son père et ses frères lui demandent sans cesse de l'argent alors que pendant des années ils estimaient qu'il faisait un travail déshonorant et qu'il souillait le nom de la famille.La réalité est cependant quelque peu différente. En effet, Michel-Ange était tellement avare qu'il se privait même du strict minimum (nourriture, logement, vêtements), refusant le moindre confort. La description donnée de sa bottega est un bon exemple : c'est une maison misérable avec un étage dont le crépi s'effrite. Au rez-de-chaussée, il y a une pièce sans fenêtre, avec une table faite de planches posées sur des tréteaux entourées de quatre chaises branlantes, et son atelier au sol recouvert de poussière blanche. Sa chambre, à l'étage, ne comporte que le strict minimum.
Certes, sa famille vivait grâce à l'argent de Michel-Ange, mais il ne semble pas qu'elle ait été une si grande source d'ennuis comme le suggère le roman, même s'il est certain que des tensions ont existé, notamment avec son frère Giovan Simone.
Bramante et Raphaël, ses rivaux
C'est en confrontant Michel-Ange à ses deux principaux rivaux d'alors – Bramante et Raphaël – que l'auteur parvient à cerner encore davantage, par contraste, la personnalité de Michel-Ange. En effet, aucun des deux ne trouve grâce aux yeux de Michel-Ange, même si c'est pour des raisons différentes. Pire encore, ils les considèrent comme des "envieux, des concurrents, des intrigants". Dans le roman, Michel-Ange surnomme même Bramante "le lèche-bottes aux yeux globuleux" !Quant à Raphaël, la comparaison avec Michel-Ange est vraiment intéressante, car ces deux artistes sont vraiment aux antipodes l'un de l'autre : autant Raphaël est sociable et lumineux, autant Michel-Ange est sauvage et ombrageux. Raphaël fait montre d'une grâce courtisane et d'une peinture gracieuse et parfaite tandis que Michel-Ange est peu avenant et son art tourmenté. Voici comment Michel-Ange décrit Raphaël :
"Il y avait d'autres raisons à l'aversion prononcée que le maître d'Aurelio nourrissait contre l'artiste plus jeune que lui de huit ans : son attitude souple, sa politesse flatteuse, sa popularité, ses manières affables, sa beauté fragile aussi bien que son « regard de chien fidèle qui fait fondre le coeur de toutes les femmes », selon Michel-Ange. Mais le talent artistique de Raphaël était indéniable. Certes, Michel-Ange trouvait que les madones de Raphaël étaient bien trop « sucrées », mais sa composition témoignait de la plus grande maîtrise.
Tout comme Michel-Ange, Raphaël avait vite dépassé son maître et, à vingt-cinq ans, il était parvenu au sommet de son art. Derrière les murs du Vatican régnait une guerre entre les artistes, dans laquelle aucun des combattants ne connaissait les armes de son concurrent."
"Comme toujours, entouré d'un cercle d'admirateurs et de jeunes femmes aux coiffures extravagantes qui espéraient qu'un peu de sa gloire les éclabousserait. Comme ce visage dégoûtait Michel-Ange, les traits fins, le nez long et droit, les cheveux sombres, lisses et brillants, qui reposaient sur ses épaules. Un tableau de maître. Comment pouvait-on être si obnubilé par l'idée d'être aimé et adulé de tous ?"Certes, à l'époque, la concurrence entre artistes est rude, ils n'hésitent pas à s'observer les uns les autres, à se dénigrer mutuellement, à craindre pour leur popularité, mais l'on sent tout de même chez Michel-Ange une certaine tendance à la paranoïa, puisqu'aussi bien Bramante que Raphaël ont reconnu le talent de Michel-Ange après qu'il eut réalisé la décoration de la voûte Sixtine. Michel-Ange semble toujours être sur ses gardes, il s'attend toujours à un piège ou à un coup bas, mais le pape Jules II n'est peut-être pas tout à fait étranger à cette prudence exacerbé...
Un portrait sans concession du pape Jules II
"Toute son attitude démontrait qu'on avait à se soumettre à lui. Le pontife n'avait de comptes à rendre à personne, en dehors du Seigneur Dieu tout-puissant. Et encore, ce n'était pas si sûr. Son visage était anguleux et sa bouche aux lèvres fines était surplombée par un nez fort. Mais, le plus remarquable, c'était son regard clair et perçant, sous des sourcils broussailleux."Présenté comme un homme irascible, autoritaire, énergique et mal disposé envers Michel-Ange, Jules II est également connu pour avoir été un pape combatif, un pape-soldat, qui a voulu faire de l'État pontifical une grande puissance. Pour cela, il n'hésite pas à utiliser les armes spirituelles contre ses ennemis et à participer personnellement aux campagnes militaires, ce que ce roman met bien en valeur. Préoccupé de l'équilibre des puissances en Italie, cet ambitieux chef d'État, plus séculier que religieux, rétablit son autorité sur les États de l'Église, élimine tour à tour César Borgia, les Vénitiens puis les Français de la Romagne et du Milanais, accroissant simultanément le territoire des États pontificaux.
S'il est certain que le pape n'a pas pour habitude qu'on lui résiste, il n'en demeure pas moins qu'il a énormément de considération et d'admiration pour Michel-Ange, sinon il ne lui aurait jamais confié la réalisation de son mausolée et la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine. Mais Michel-Ange, avec son caractère intransigeant et avaricieux, n'est pas une personnalité facile à gérer et il y a parfois de quoi perdre sa patience, surtout lorsqu'on s'appelle Jules II ! Quand deux personnalités fortes se rencontrent, cela crée des étincelles !
La Rome du début du XVIe siècle comme si on y était !
Par le biais d'un narrateur omniscient qui suit en permanence Aurelio, l'auteur dépeint une ville pleine de contrastes. Loin de rester cloîtré dans la chapelle Sixtine, Aurelio déambule dans la ville et fréquente aussi bien les sous-sols du palais papal que des quartiers moins bien fréquentés, puisqu'il fréquente une courtisane, Margherita, qui espère devenir une courtisane honorable, entretenue par un ou plusieurs admirateurs, mais qui finit "courtisane à la bougie" suite à une mésaventure, donc dépendante d'un proxénète. Eh oui, la Rome catholique du XVIe siècle, qui conjugue luxe, beauté et richesse, possède un second visage, bien moins glorieux."Rome correspondait bien à ce qu'Aurelio s'était imaginé. La Ville éternelle était aussi gigantesque que majestueuse. Elle brillait comme une promesse. Ses murs résonnaient de l'écho du pas noble des chevaux caracolant dans les rues. Aurelio s'émerveillait des manches de velours bordées d'hermine, des carrosses fermés aux ferrures dorées, des maisons à l'allure de forteresses, des portes et des églises imposantes. Rome était tout cela, mais aussi son contraire. Tout ce qui était beau dans cette ville se voyait associer la laideur, comme une preuve de son évidente ambiguïté. Comme pour rendre la beauté encore plus belle et la laideur encore plus laide. Le patricien était suivi d'une demi-douzaine de mendiants en haillons. La façade de marbre côtoyait des ruines. Les ruelles étaient envahies de débris et d'excréments de toutes sortes. Tout ce qui ne servait plus était jeté par les fenêtres ou balayé dehors. Dans cette ville, c'était chacun pour soi."À la richesse du quartier de la place Saint-Pierre s'oppose des quartiers miséreux, mal famés, sales, tel le Vélabre : "Le Vélabre avait été un marécage jusqu'à ce que Tarquin l'Ancien eût l'idée de faire creuser la cloaca maxima. Pendant des siècles, le Vélabre a ensuite été un quartier animé, apprécié des marchands ambulants, des devins et des danseurs. Mais le V est devenu un cloaque depuis car le système d'égout est sans cesse interrompu et les canaux sont bouchés au point qu'on a été obligés d'installer des planches pour cheminer au-dessus des eux usées stagnantes sans compter les mauvaises odeurs."
♜ ♜ ♜ ♜ ♜ ♜
En conclusion
Points forts :- Un roman très documenté et qui mêle brillamment réalité artistique et fiction.
- Un contexte historique bien campé en arrière-plan, qui ne vient jamais troubler le récit mais le complète utilement.
- Une approche romanesque, à la fois pleine de vie et accessible à tous, pour découvrir et comprendre ce chef-d'oeuvre de la Renaissance.
- Des personnages historiques très bien incarnés, dotés d'une forte présence aussi bien physique que psychologique : Michel-Ange, Bramante, Raphaël, Jules II.
- Une présentation très instructive et passionnante du milieu artistique de la Renaissance à Rome : méthodes de travail, vie quotidienne, cadre de vie, rivalités, etc.
Points faibles :
- Pas de mention des sources historiques utilisées ni de bibliographie.
- Une vision partiale et subjective de cet épisode de la vie de Michel-Ange et du personnage lui-même.
- Absence de reproductions de la voûte de la chapelle Sixtine.
Caractéristiques techniques
Livre papier
Éditeur : PocketDate de parution : novembre 2015
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,7 cm
Pagination : 624 pages
ISBN : 978-2-2662-5391-8
Livre numérique
Éditeur : HC ÉditionsFormat : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Feedbooks : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire