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mercredi 18 janvier 2012

Les enquêtes du généalogiste. Tome 1 : Code 1879

Code 1879
Auteur : Dan Waddell
Traduction : Jean-René Dastugue

Texte de présentation

Le cadavre d'un homme poignardé et amputé des deux mains vient d'être découvert, abandonné dans un cimetière de l'ouest londonien. Lors de l'autopsie, l'inspecteur Grant Foster remarque, gravée au couteau dans la peau de la victime, une inscription énigmatique pour l'interprétation de laquelle il fait appel à Nigel Barnes, généalogiste professionnel. Alors qu'un deuxième corps est identifié comme étant l'oeuvre du même assassin, leurs recherches vont les plonger dans les bas-fonds du Londres victorien et les conduire dans les méandres obscurs d'une affaire criminelle de la fin du XIXe siècle qui semble liée aux meurtres. Si leur intuition se confirme, d'autres victimes sont à redouter...
Atmosphère brumeuse, suspense et humour assurent la réussite de ce premier volet d'une série originale qui interroge le passé pour mieux démasquer les monstres de notre temps.

Mon avis : Excellent

Découverte par hasard lors de ma déambulation dans les allées du salon du Livre de Paris, la série "Les enquêtes du généalogiste" conjugue trois de mes centres d'intérêt : le genre policier, l'Histoire et la généalogie ! Ni une ni deux, tout en étant assez méfiante – les clichés sur la généalogie, soi-disant une "activité pour retraités", sont hélas pléthore –, je me suis emparée de ce roman et j'ai alors appris que l'auteur, Dan Waddell, a lui-même effectué des recherches généalogiques à la naissance de son fils aboutissant à la découverte d'un secret de famille. Constatant combien le passé pouvait influer sur le présent, il a alors eu l'idée de créer une série policière autour de la généalogie, dans laquelle des crimes du passé ont des répercussions sur le temps présent. Le fait que l'auteur ait lui-même pratiqué une activité de généalogiste m'a rassurée et m'a convaincue de me lancer dans la lecture de cette série qui ne comporte que trois tomes, l'auteur n'ayant malheureusement pas poursuivi au-delà de la troisième enquête.

Une idée originale : la généalogie au service d'une enquête policière
De bon matin, l'inspecteur général Grant Forster est appelé sur une scène de crime : le corps d'un homme a été découvert dans un cimetière de Londres, poignardé et amputé des deux mains. Les seuls indices dont dispose l'enquêteur est la présence d'une inscription incisée sur le torse de la victime – 1A137 – et le dernier numéro de téléphone appelé depuis son portable : 1879. Ce mélange de chiffres et de lettres n'est pas étranger à la jeune inspectrice Heather Jenkins dont la mère a mené des recherches généalogiques il y a quelque temps : il pourrait s'agir des références d'un acte d'état civil. Elle contacte donc le généalogiste professionnel qui avait aidé sa mère à reconstituer son arbre généalogique : Nigel Barnes. Tandis que ce dernier entame des recherches pour aider la police à résoudre cette énigme, un nouveau meurtre intervient, toujours avec la même inscription présente sur le corps... Nigel Barnes fait alors le lien avec une série de meurtres survenus au XIXe siècle. S'engage alors une véritable course contre la montre pour comprendre ce qui relie le criminel à ces meurtres du passé et l'arrêter avant qu'il ne fasse d'autres victimes, entraînant le lecteur au coeur d'une enquête dangereuse à la fois dans les bas-fonds du Londres victorien et le Londres contemporain.

L'originalité de ce roman tient à l'utilisation des recherches généalogiques pour retrouver les traces d'un meurtrier qui sévit à Londres au XXIe siècle mais dont les motivations remontent au XIXe siècle. Certes les méthodes modernes de police scientifique sont également présentes dans le roman, mais c'est vraiment la généalogie qui occupe la première place et qui permet d'avancer dans l'enquête.
Deux méthodes d'investigation se juxtaposent et se complètent ainsi tout au long du roman : celles de la police criminelle (autopsies, interrogatoires, surveillances, etc.) et celles du généalogiste (examen des registres de l'état civil, des archives de la presse, des comptes-rendus de procès, etc.).
"Mais le passé ne fonctionne pas comme cela. On ne peut pas l'enterrer, décider que c'est de l'histoire ancienne. Quand quelqu'un se noie en mer, cela peut prendre un temps infini avant que le corps ne soit rejeté par les flots. Personne ne sait où, personne ne sait quand. La seule chose qui soit certaine, c'est que la mer finit toujours par rendre les morts. Cela a pris plus de cent vint-cinq ans, mais les événements de 1879 ont fini par être rejetés sur la place."

Une enquête menée tambour battant !
Mettre ainsi au premier plan la généalogie était un pari plutôt risqué quand on sait combien cette activité est considérée, à tort, comme un loisir "plan-plan" pour retraités qui aiment les vieux papiers et le silence des salles d'archives poussiéreuses ! Si vous avez cette idée en tête, détrompez-vous : en mettant le lecteur au même niveau que les enquêteurs, en particulier de Nigel Barnes, l'auteur nous fait partager toutes leurs émotions et leurs réflexions, mais aussi leur inquiétude croissante à mesure que le temps passe et que les crimes continuent.
Dès que Nigel Barnes se lance dans les registres d'état civil et les archives de la presse, impossible de résister, on est à ses côtés, penchés sur son épaule, partageant son impatience, ses hypothèses, ses déductions, ses doutes, ses déceptions, etc., ce qui rend l'enquête très dynamique, très interactive. Dès le début de ses recherches, une piste semble émerger, évidente, logique, tout concorde, mais patatras, il s'agit d'une mauvaise piste et nous voilà obligés de faire marche arrière et d'étudier d'autres pistes alors que le temps presse et qu'un deuxième cadavre a été découvert ! À partir de ce moment-là, la tension est à son comble – je pense en particulier à une scène où Nigel Barnes se retrouve seul durant quelques minutes dans les archives londoniennes après l'heure de fermeture : son anxiété grandissante est allée de pair avec la mienne ! – et, renforcée par un rythme soutenu, quelques rebondissements et encore de fausses pistes, elle ne retombe pas avant le dénouement final qui met fin à un suspense haletant.
Cette course contre la montre est servie par une écriture efficace, concise et fluide, très visuelle, que je qualifierais de scénaristique. Peu de détails, quelques mots suffisent pour planter le décor, pour décrire l'atmosphère et les émotions des personnages. Ce style très direct permet ainsi à l'imaginaire du lecteur de se développer tout en lisant : les phrases lues laissent immédiatement la place à des images, à des scènes, comme si l'action se déroulait sous nos yeux. Je suis d'ailleurs étonnée que cette série n'ait pas été adaptée sous forme audiovisuelle.

L'intrigue, très bien ficelée et construite avec minutie, agissant comme une mécanique implacable, se déroule sur deux plans temporels, le passé et le présent, puisqu'on découvre en parallèle les crimes intervenus en 1879 et ceux de l'époque actuelle, Nigel Barnes étant le point de jonction entre ces deux périodes : il va découvrir les liens existant entre le passé et le présent au prix d'une enquête éprouvante et pleine d'incertitudes. Concrètement, ce voyage entre le passé et le présent se matérialise par une alternance de chapitres où interviennent soit les policiers chargés de l'enquête (Grant Foster et Heather Jenkins), soit le généalogiste Nigel Barnes, mais ces chapitres sont également entrecoupés par les interventions, signalées en italiques, d'un personnage mystérieux et inquiétant... Loin d'être d'une contrainte ou de complexifier l'intrigue, ces allers-retours dans le temps nous permettent de faire connaissance avec le Londres victorien et ses bas-fonds glauques et sombres, ambiance brumeuse garantie ! Ainsi, au cours de leur enquête, les policiers et Nigel Barnes vont s'apercevoir que certaines rues ou stations de métro du XIXe siècle ont disparu ou changé de nom, et ils vont devoir faire des recherches pour retrouver à quoi ces lieux correspondent de nos jours. Les archives de presse et policières nous permettent également de mieux connaître les moeurs de l'époque, la manière dont les gens vivaient et pensaient. Toutefois, j'aurais aimé que l'auteur aille un peu plus loin dans ses descriptions de la capitale victorienne et de ses habitants, cela reste un peu trop succinct à mon goût.
"Le passé est un être vivant : il est toujours là. La plupart d'entre nous l'ignorent, mais il est là. On ne peut pas l'effacer et l'oublier."

Des personnages stéréotypés mais bien campés
Le titre de la série est un peu trompeur car il donne à croire qu'il n'y a qu'un seul enquêteur, le généalogiste Nigel Barnes, alors qu'il fait en réalité partie d'un trio, au sein duquel se trouvent l'inspecteur Grant Foster et l'inspectrice Heather Jenkins. Si Nigel Barnes concentre logiquement ses recherches dans les archives, Grant Foster et Heather Jenkins sont davantage sur le terrain, mais ils sont bien obligés, à un moment, de donner un coup de main à Nigel Barnes tant sa tâche est immense, et ce même si Grant Foster a vraiment une vision caricaturale et totalement dépassée de la généalogie : il considère que cette activité entre "dans la même catégorie que la collection de timbres, ou les adultes qui jouent au petit train dans leur grenier, avec les collines, les signaux, les moutons et tout le reste" ! Vu la gravité et l'urgence de la situation, je suis tout de même étonnée que l'inspecteur Foster n'ait pas fait appel à d'autres généalogistes professionnels pour seconder Nigel Barnes et se contente de quelques autres inspecteurs, tels les inspecteurs Majid Khan et Andy Drinkwater...

Au premier abord, ces trois personnages peuvent sembler caricaturaux, lisses et dénués d'intérêt, mais on découvre rapidement que deux d'entre eux, au moins, ont un passé douloureux et tentent tant bien que mal de dissimuler leurs failles et leur fragilité, les rendant attachants :
  • Grant Foster est un policier expérimenté, autour de la cinquantaine ; derrière ce personnage solitaire, bourru, cynique et porté sur la bouteille, se cache un homme hanté par le souvenir de son père, atteint d'une maladie incurable et qu'il a aidé à mourir.
  • Heather Jenkins, antithèse de Grant Foster, est une jeune inspectrice vive et délurée. Faisant équipe avec l'inspecteur, elle sait conserver son humour même dans les circonstances les plus dramatiques et a du répondant, même face à Grant Foster, ce qu'il apprécie. Au fil de l'enquête, ce personnage aura une influence certaine sur un protagoniste de l'histoire...
  • Nigel Barnes est un généalogiste professionnel, passé par l'université dont il garde un souvenir cuisant. Totalement désuet, un peu tête en l'air et maladroit lorsqu'il n'est pas plongé dans ses recherches généalogiques, il ressemble à ce qu'on appelle aujourd'hui un "adulescent", avec son jean, son duffle-coat et sa sacoche. Heather Jenkins lui trouve un "côté rat de bibliothèque ébouriffé" ! Mais ce personnage, ironie de l'histoire, ne connaît pas ses propres origines familiales et ne parvient pas à construire sa vie, restant dans une certaine forme d'immaturité et préférant se réfugier dans le passé des autres pour oublier le présent, "plus à l'aise dans le silence et la quiétude du monde des morts que dans le présent, bizarre et insolent". Mais lui-même explique : "Ne pas connaître son passé n'empêche pas de vivre. En fait, parfois, cela peut aider. Pas de réussite à égaler, pas d'erreurs à éviter. On peut considérer cela comme une liberté. Mais il reste toujours une absence, une sensation de manque. Un vide et beaucoup de questions sans réponses."

Une description réaliste de la recherche généalogique
Étant moi-même passionnée de généalogie et toujours un peu énervée quand des documentaires ou des séries télévisées font croire aux téléspectateurs qu'il suffit de claquer des doigts pour tomber sur l'acte recherché, je craignais que l'auteur ne tombât dans ce même écueil, même si le fait qu'il ait réalisé des recherches généalogiques me rassurait. Eh bien non, me voici doublement rassurée !
"Il avait hâte de commencer les recherches, intrigué par ce qu'il allait découvrir. C'était cette sensation d'attente qu'il appréciait le plus dans son travail."
D'une part, la généalogie n'est pas un simple prétexte dans cette histoire, voire un argument marketing pour se distinguer de la concurrence, elle joue vraiment un rôle primordial dans l'enquête et prend une part importante du roman. Est-il dès lors nécessaire de s'y connaître un peu ? Pas du tout, car l'auteur sait rester concis et clair, il n'est pas là pour expliquer le b.-a.-ba de la recherche généalogique : la généalogie est vraiment au service de l'enquête. En outre, les recherches en France et à l'étranger ne se déroulent pas de la même manière, même s'il existe quelques points communs : les lieux de conservation et les supports de consultation ne sont pas les mêmes, donc pas d'inquiétude, nul besoin de maîtriser la paléographie, le latin ou la terminologie généalogique ou que sais-je encore pour lire ce roman !
L'auteur se permet parfois des petits clins d'oeil qui n'échapperont pas en revanche aux généalogistes : "Tout ce qu'il avait demandé était disponible sur ce support redouté : le microfilm. Nigel détestait ça. Consulter des informations sur ces rouleaux sans fin, avec des écrans mal éclairés couverts de poussière, se coller des douleurs en rembobinant à la main des rouleaux entiers, installer les morceaux de films abîmés et froissés sur les supports, c'était aussi réjouissant que de s'arracher les yeux avec une petite cuillère." J'ai même appris une technique pour faire réapparaître les mentions gravées sur les pierres tombales, mais je me garderai bien de la mettre en oeuvre même si cela semble bien fonctionner !

Afin de renforcer le dynamisme des parties décrivant les recherches généalogiques de Nigel Barnes, l'auteur s'est amusé à distiller des anecdotes intéressantes, notamment sur l'origine et la signification des noms de famille, certains n'ayant plus la même connotation de nos jours, ou bien sur des faits caractéristiques de certaines époques.
"– C'est la première fois que je rencontre un Drinkwater*.
– Vraiment ?
– C'est un nom de famille qui n'est plus très répandu. Vous savez ce qu'il signifie ?
– Non.
- C'est un patronyme très intéressant, dit Nigel.
[...]
– Il y a deux possibilités : ou bien vos ancêtres vivaient dans une telle pauvreté qu'ils ne pouvaient pas s'acheter de bière et ne buvaient donc que de l'eau...
– Ou ? Interrogea Drinkwater dont la curiosité s'était finalement réveillée.
– Ou bien votre ancêtre était tellement alcoolique qu'on lui a donné ce nom par ironie."
* Buveur d'eau
"Khan prit son calepin. « Écoutez ça : Smallpiece*, Shufflebottom*, Daft*... Daft ! Franchement, si vous vous appeliez Daft, vous changeriez de nom, hein ? Mais c'est celui-là le meilleur : Fuchs*. For Fuchs sake ! »"
* Smallpiece : Petitbout – Shufflebottom : Culbattu – Daft : Crétin – Fuck's sake : Putain de merde.
"Je suis sidérée par le nombre d'enfants qui mouraient à la naissance, dit-elle les yeux écarquillés. Sur chaque page, il y en a au moins un où sous « âge de la mort », il y a inscrit zéro. Incroyable. Mon Dieu, comme tout est facile maintenant. Quand je pense à mon amie Claire qui a accouché il y a six mois. Le travail a duré plus de quarante heures. Quarante ! Au bout du compte, on lui a fait une césarienne en urgence. Il y a cent ans ou plus, le bébé serait mort."
Toujours dans ce même but, il a introduit deux personnages peu sympathiques, le journaliste Gary Kent et le généalogiste Dave Dukeworth, qui lui permettent d'égratigner le comportement de certains journalistes prêts à tout pour soutirer la moindre information sur l'enquête et certains confrères généalogistes à la déontologie douteuse...
Et même quand il aborde un sujet plus complexe, la psychogéographie en l'occurrence, il veille à bien resituer le terme dans son contexte : "Foster se rappelait vaguement que Nigel lui en avait parlé. Des conneries à propos de la manière dont les lieux peuvent avoir une influence sur les actes des gens."

D'autre part, l'auteur parvient par son écriture à nous donner l'impression qu'on est assis à côté de Nigel Barnes lors de ses recherches et on partage avec lui ses questionnements, son impatience lors de l'attente des documents réservés et les longues heures de recherches durant lesquelles il passe par toute une palette d'émotions, passant de l'inquiétude à la joie ou à la déception... et même à l'anxiété et au stress lors des cent dernières pages.
Découvrir les différents lieux de conservation des archives, les supports de consultation, les méthodes de travail, la façon de raisonner d'un généalogiste dans le cadre d'une affaire policière est vraiment très intéressant, d'autant plus ici que Nigel Barnes ne se contente pas des classiques registres d'état civil, il va explorer les recensements de populations, la presse ancienne, des comptes-rendus de procès, les mémoires d'un bourreau, etc., conservés en différents endroits de la capitale britannique.

Un très bon policier historique, qui mêle avec brio enquête policière et recherches généalogiques, prenant même les allures d'un thriller sur les cent dernières pages !

♜ ♜ ♜ ♜ ♜ ♜

En conclusion
Points forts :
  • Un angle d'approche inédit : la résolution d'une enquête policière par le biais de la généalogie.
  • Une intrigue originale et construite avec minutie, qui nous plonge à la fois dans le présent et le passé.
  • Un champ d'investigation vaste et de nombreuses fausses pistes.
  • Une description réaliste et passionnante des recherches en généalogie avec des anecdotes intéressantes.
  • Un suspense permanent et un rythme soutenu.

Points faibles :
  • Une évocation trop succincte du Londres à l'époque victorienne.
  • Une invraisemblance : compte tenu de la gravité de la situation, un seul généalogiste pour une enquête d'une telle envergure n'est pas réaliste.

L'avis des blogueurs

D'une berge à l'autre –– The cannibal lecteur –– Espace temps libre –– Jazz et crime –– Des livres, des livres ! –– En lisant en voyageant –– Lyvres –– Mots pour mots –– Oceano nox –– Ma petite pause –– Tête de lecture –– Thé et livres –– Y'a d'la joie !

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Actes Sud
Collection : Babel noir
Date de parution : janvier 2012
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 17,6 cm
Pagination : 368 pages
ISBN : 978-2-3300-0268-8

Livre numérique

Éditeur : Rouergue
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub ou PDF –– ePagine : ePub –– Feedbooks : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub ou PDF

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