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jeudi 3 décembre 2020

"Moi, Eva Braun…"

"Moi, Eva Braun…"
Autrice : Chloé Dubreuil
Préface : François Delpla

Texte de présentation

Elle s'appelait Eva Braun. La veille de son suicide, le 30 avril 1945, elle épousa l'homme pour lequel elle avait tout sacrifié et devint alors, pour quelques heures, Eva Hitler.
Ce récit, écrit à la première personne, dévoile cette incroyable destinée, inextricablement liée à celle d’Adolf Hitler, le "Sauveur" de l'Allemagne, l'un des personnages les plus sinistres de l'Histoire de l’humanité. Au fil des mots, Eva se livre en toute spontanéité. Témoin privilégiée de ces folles années de l'entre-deux guerres, la "maîtresse maudite" du IIIe Reich nous entraîne de son enfance aux derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, sans renier cet amour que l'on suit comme un fil rouge.
"Cette histoire est la nôtre, Adolf."

Mon avis : Assez Bien

Pourquoi cette lecture ?
Lorsque je m'apprête à lire un roman biographique sur une personnalité exécrable qui m'inspire au mieux de l'indifférence, au pire du dégoût, j'espère toujours y trouver des explications me permettant de mieux comprendre son parcours, ses choix, ses actions, ses comportements... bref découvrir ce personnage sous un nouvel éclairage et nuancer un avis peut-être trop expéditif.
Et c'est là qu'Eva Braun est arrivée jusqu'à moi via le roman que lui consacre Chloé Dubreuil et qui m'a été envoyé par son éditeur… Parfaite illustration de ce que je viens d'écrire, je connaissais mal cette femme : le peu que j'en savais ne m’avait jusqu'à maintenant pas donné envie d'en savoir plus. Mais j’ai pris cette lecture, qui me faisait sortir de ma zone de confort, comme un "challenge" !

Un parti-pris narratif audacieux et risqué
En suivant les pas ou, plutôt, en se mettant dans la tête d'Eva Braun, Chloé Dubreuil s'est elle-même lancée dans un exercice littéraire peu évident, celui de se mettre dans la peau d'un personnage détesté et détestable, et de tenter d'en faire ressortir son humanité, ses forces et ses failles. Comme la couverture l'annonce de suite – je trouve d'ailleurs l'illustration de couverture graphiquement et symboliquement très réussie –, c'est en effet Eva Braun elle-même qui prend la parole et qui nous raconte sa vie, d'un point de vue donc très subjectif, comme un journal intime.
De son adolescence à ce 30 avril 1945, en passant par sa rencontre avec Hitler dans la boutique du photographe de presse Heinrich Hoffmann où elle est vendeuse, Eva Braun passe ainsi en revue tous les événements qui ont marqué sa vie, passant sous silence les faits abominables qui se déroulaient pendant ce temps quasiment sous ses yeux.
L'intérêt de ce choix narratif est qu'il nous permet de nous approcher au plus près du personnage, de ses pensées et de ses émotions, mais aussi de nous laisser juge, sachant que de toute façon Eva Braun n'en a visiblement que faire de sa postérité : elle nous parle sans filtre, frisant parfois l'indécence, la bêtise et la folie. Eh oui, chacun(e) est invité(e) à se faire sa propre opinion, mais on s'aperçoit vite qu'Eva Braun n'était peut-être pas qu'une sombre idiote manipulable, incapable de penser par elle-même, son portrait est certainement plus nuancé que cela. Ce récit nous montre en tout cas un personnage pour le moins tourmenté, égocentrique, névrosé, totalement subjugué par Hitler, n'agissant et ne pensant qu'à travers son idole, ne vivant que par et pour son gourou. Certains passages virent carrément à l'obsession, voire à la folie, quand elle se met à décrire certains détails totalement futiles (vêtements, par exemple) ou quand elle essaie de deviner ce que Hitler pourrait penser de ceci ou de cela.
Je ne connaissais rien de mieux cependant pour me vider la tête que de me concentrer sur les bretelles de mes robes, l'inclinaison de mes chapeaux, la couture de mes bas. Je me demandais s'il valait mieux telle tenue ou telle autre pour telle heure de la journée, telle paire de chaussures compensées ou sandales et socquettes. Je m'observais dans le miroir et je m'interrogeais. quel détail n'allait pas, quelle broutille était à améliorer ?
Était-ce de la vanité ? Ou sûrement la recherche, quasi obsessionnelle, du moindre défaut ? Je tentais de me voir de dos pour vérifier si rien, absolument rien, ne dépassait, mais à chaque fois, évidemment, j'échouais à le faire et devais faire confiance à Liesl pour me rassurer.
Par son prisme, on découvre aussi un portrait plus intime de Hitler, qui ne fait que nous confirmer que ce personnage était un fou furieux, mais parfois avec des accès de sensiblerie totalement en décalage avec les atrocités qu'il a imaginées et mises en oeuvre...

Le style
Outre le choix narratif, le style en lui-même apporte aussi un éclairage certain sur la psychologie d'Eva Braun. Soignée, léchée, frisant l'artificialité, avec parfois des pas de côté, comme des sautes d'humeur, l'écriture est le reflet parfait de cette femme impossible à déchiffrer, un étrange mélange composé de froideur, de puérilité, de folie, de superficialité, de calcul, de machiavélisme (notamment quand elle parle de ses "rivales")... Même si ce style est parfaitement adapté à la psychologie d'Eva Braun, j'avoue que ce côté très appliqué m'a un peu hérissée, par son manque de spontanéité et de vie, m'empêchant de me plonger à 100 % dans l'histoire.

Quelques faits objectifs et des non-dits révélateurs

Même si ce récit est subjectif, cette lecture nous permet toutefois de retenir au passage quelques faits objectifs pour le moins intéressants, parfois étonnants. Ainsi, Eva Braun est issue d'une famille aisée et cultivée, opposée à la politique du Troisième Reich, et elle a grandi dans l'amour de sa famille. Encore plus fort : sa propre soeur Ilse vivait avec un homme juif ! Ainsi, rien, absolument rien dans son enfance ne semble pouvoir expliquer pourquoi elle a basculé un jour du côté du mal.
Les non-dits sont aussi révélateurs : jamais elle ne fait mention expressément des atrocités commises par Hitler et les nazis : pogroms, autodafés, antisémitisme, racisme, homophobie... Tout ce qui l'intéresse et la préoccupe, ce sont ses tenues, ses rivales et son statut. On pourrait parler ici de futilités, mais il s'agit surtout de calcul et de machiavélisme : elle veut être la seule et l'unique aux yeux de Hitler, n'hésitant pas pour cela à faire des tentatives de suicide dès que ce dernier ne lui manifeste pas assez d'attention ou semble intéressé par d'autres femmes.
Le souhait de ne pas reproduire le schéma familial, de s'affirmer en tant que femme dans une société où on les cantonne au rôle de mères de famille... peut-être qu'à travers son amour pour Hitler Eva Braun a-t-elle eu l'impression de se révéler et de devenir une personne importante, de premier plan ? Vous le voyez, je cherche encore et toujours des explications, des réponses et je n'en ai pas trouvé dans ce roman, mais là n'était pas le but, même si c'était le mien. En revanche, il m'a permis d'alimenter ma réflexion générale sur les raisons qui peuvent conduire des êtres humains à devenir des monstres. Et peut-être me faut-il accepter qu'un être humain n'est jamais tout blanc ou tout noir... mais néanmoins je reste persuadée qu'il tend forcément vers le gris clair ou le gris foncé...

[...] mon existence était indissociablement liée à la tienne. Si l'Allemagne était finie, je n'avais plus d'avenir. J'étais la maîtresse du Chef de ce pays. La femme qui partageait son intimité, sa vie, ses idées, qui n'existait que par lui. Il n'y avait pas à polémiquer. Je me suis donc préparée à descendre sous terre pour ne plus en sortir peut-être.
♜ ♜ ♜ ♜ ♜ ♜

En conclusion
Points forts :
  • Avoir choisi un personnage historique indéfendable : l'épouse de Hitler.
  • Le point de vue du récit, procurant une sensation de proximité et d'intimité avec le personnage : c'est Eva Braun qui raconte elle-même sa vie.
  • Certes, le personnage est abominable, mais ce roman, en ouvrant une porte sur son intimité, nous le rend "plus humain", c'est-à-dire avec toutes ses qualités et ses défauts.
  • L'appareil critique : la préface de l'historien François Delpla, les notices biographiques et les sources.


Points faibles :
  • Le personnage : il est impossible d'éprouver la moindre empathie avec elle ou de s'identifier avec elle.
  • Le point de vue du récit : en choisissant le "je", le lecteur n'a pas de recul par rapport à ce qu'écrit Eva Braun, on n'a pas d'autre point de vue.
  • Le style narratif : certes, il "colle" bien au personnage, mais je me suis sentie mise à distance, le côté très léché ne m'a pas permis d'entrer à fond dans le roman.
  • L'angle fictionnel est difficile à tenir quand on traite d'un personnage horrible. À un moment donné, j'ai ressenti un manque d'éléments factuels, historiques et biographiques, pour tenter d'avoir un avis sur cette femme. Il me semble que la biographie est un genre littéraire plus adapté pour ce type de personnalité, mais il faut reconnaître que l'autrice a fait un vrai pari en choisissant l'angle de la fiction pour aborder ce personnage.

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Lemme Edit
Date de parution : décembre 2020
Couverture : brochée
Format : 14 cm x 20 cm
Pagination : 304 pages
ISBN : 978-2-9175-7593-2

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