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mercredi 22 août 2018

L'affranchi. Tome 1 : Sparteolus

Sparteolus
Auteur : François Gilbert

Texte de présentation

Rome a un nouveau sparteolus : Mamercus Aemilius Clémens, un de ces vigiles qui luttent contre les incendies et les truands. Il ne fait pas bon traîner la nuit dans les rues de la Rome impériale, capitale plongée dans le désarroi et la peur. L'empereur Tibère s'est exilé à Capri, abandonnant à Séjan une partie du pouvoir, la Ville et ses habitants. Le préfet du prétoire règne en maître, opérant des coupes claires dans les rangs de ses adversaires.
C'est dans ce climat délétère que le jeune Clémens se voit affranchi malgré lui de sa condition d'esclave. Cette liberté inattendue et déroutante l'oblige à prendre son destin en main. Dans ce chaudron surchauffé qu'est la Ville, le travail ne manque pas et réserve autant de surprises que de rencontres singulières, à commencer par ces fantômes qui apparaissent parfois la nuit...
Bientôt, Clémens va plonger dans les noirceurs des coulisses de son époque.
François Gilbert décrit une nouvelle Rome, celle que n'évoquent pas nos manuels scolaires. Il nous invite à découvrir la Ville éternelle dans ce qu'elle a de sombre et de lumineux. Le récit se veut au plus près des réalités historiques et archéologiques, condition essentielle pour s'immerger avec bonheur dans des recoins méconnus de la civilisation romaine.

Mon avis : Bien

Historien et chercheur associé au CNRS, François Gilbert s'est spécialisé dans l'étude de l'armée et de la gladiature romaines. Sa passion pour cette civilisation l'a conduit à créer une association de reconstitution antique, Pax Augusta. Auteur de plusieurs ouvrages et articles, il s'est lancé dans une nouvelle aventure, celle de l'écriture de son premier roman, L'affranchi. Sparteolus !

En résumé
Ce premier tome – le chiffre 1 sur le dos de la couverture ainsi que le prologue nous permettent de penser qu'il s'agit du premier volume d'une série – se déroule en l'an 31 de notre ère, mais l'action se concentre plus précisément sur une dizaine de jours, entre le 7 et le 18 octobre, si l'on isole le dernier chapitre daté du 20 novembre qui est une sorte de rapport écrit du héros à son patron Mamercus Aemilius Scaurus. Car le héros, Mamercus Aemilius Clemens, est bel et bien un esclave affranchi par son maître, un ancien sénateur retiré à Tusculum après un complot fomenté contre lui. En effet, vivre à Rome à cette période n'est pas sans danger, et ce quelle que soit votre position sociale. Depuis que l'empereur Tibère s'est retiré sur l'île de Capri sur les conseils de son très influent et puissant préfet du prétoire Séjan, ce dernier a accaparé une grande partie des pouvoirs entre ses mains et tous les moyens sont bons pour se débarrasser de ses rivaux, afin de devenir le seul candidat à la succession de Tibère. Rumeurs, conjurations, assassinats... ce climat de suspicion et de peur rend la ville dangereuse, d'autant plus pour qui ose s'aventurer la nuit venue dans ses rues !
Et pourtant c'est bien dans l'univers de la nuit que va plonger notre jeune héros puisqu'il vient de réussir toutes les épreuves pour devenir vigile, promesse d'une nouvelle vie, celle le menant vers une totale liberté. Mais ce qu'il ignore encore, c'est qu'en sillonnant les rues de la capitale pour lutter contre les incendies et arrêter les malfaiteurs il s'apprête à plonger dans un autre monde, un monde violent où le danger est permanent...

Un héros étonnant
En choisissant comme personnage principal un jeune affranchi livré à lui-même l'auteur exprime dès le départ sa volonté de nous plonger non pas dans le milieu de la cour impériale mais dans la vie quotidienne des habitants de Rome, tout en respectant scrupuleusement le contexte et les événements historiques, ceux-ci ayant bien évidemment des répercussions sur le déroulé de l'histoire et le destin des différents personnages du roman. Ce personnage, dénommé Mamercus Aemilius Clemens, relaie la volonté de l'auteur en prenant la parole dès le prologue, mais nous nous trouvons là bien des années plus tard alors qu'il fait le bilan de sa vie et qu'il estime le moment venu pour lui de transmettre ses souvenirs car, à travers eux, c'est toute la société romaine d'alors qui revit :
À travers elle [ma vie], ce sont les autres que je vais raconter, les humbles et les puissants que j'ai croisés. Suivre mes pas, c'est arpenter les caniveaux de Rome et ses voies dallées de marbre, pénétrer des palais ou de simples chambrées de caserne. Je vous invite à un voyage : un voyage dans les cités et les provinces, mais aussi dans le coeur et dans l'esprit des habitants de l'Empire. Je pousserai pour vous les portes de l'intime, pour dévoiler leurs modes de vie et leurs croyances, leurs aspirations et leur réalité.
Puis Mamercus Aemilius Clemens s'efface momentanément, laissant la place à un premier chapitre retraçant l'arrestation de nuit d'un sénateur à son domicile et la présence d'une silhouette inquiétante sur le toit – aiguisant par là même notre curiosité –, pour revenir dès le chapitre deux et ne plus quitter le récit. Ce changement de point de vue au démarrage du roman – on passe d'un narrateur-personnage, le héros, à un narrateur extérieur à l'histoire non identifiable, puis de nouveau au narrateur-personnage – est un peu déroutant d'autant que le narrateur inconnu ne fait pas que décrire la situation, il émet quelques commentaires personnels en employant le "je", comme s'il était juge et partie, d'où une sensation de confusion – qui est donc ce personnage ? – mais qui disparaît dès le chapitre suivant.

Un tableau très vivant de Rome et de ses habitants
À partir de là, Mamercus Aemilius Clemens reprend donc la parole, nous confiant ses aspirations, ses pensées, ses craintes ; on le suit partout, de jour comme de nuit. C'est donc à travers ses yeux que nous découvrons la ville de Rome, en parcourant ses rues à ses côtés – sa géographie, son architecture, ses tavernes, ses quartiers mal famés, etc. – mais aussi ses habitants et, par là même, leurs coutumes, leurs moeurs, leurs goûts, leurs croyances, etc. L'auteur fait preuve d'une telle maîtrise et d'une telle connaissance de la civilisation romaine qu'il parvient à nous mettre dans l'état d'esprit d'un Romain. Nous sommes à Rome et nous sommes Romains ! La carte géographique de Rome figurant en fin d'ouvrage est d'ailleurs bien utile pour suivre le parcours du vigile dans les différents quartiers.
Subure était un chaudron bouillonnant, le coeur chaud et palpitant de la capitale, où la majorité des miséreux s'entassaient dans des conditions d'hygiène déplorables. C'était aussi le repère de tous les coupe-jarrets ; on savait quand on entrait à Subure, jamais quand on ne sortait.
Ces descriptions, qui sont le fruit d'un important et minutieux travail de documentation, sont visuellement très évocatrices et tout un décor prend vie sous nos yeux. Il y a une foule de petits détails très intéressants : par exemple, j'ai appris que les prostituées portaient de longues toges noires rapiécées, qui étaient en fait des toges d'infamie caractérisant leur profession. Et saviez-vous que si un chien passait parmi plusieurs personnes en jappant cela était le signe d'un mauvais présage ? J'ai aussi particulièrement apprécié la description de la procession consacrée à la Grande Mère qui, contrairement à ce que je pensais, fait l'objet de dédain et de méfiance de la part des Romains. Il faut dire qu'elle est menée par des eunuques (signe de mauvaise augure en ce temps-là) et des personnages ambigus en raison de leurs costumes et de leur maquillage. Mais ce n'est pas tout, ils déambulent dans les rues en hurlant, en dansant et en s'agitant frénétiquement ! Et j'ai frémi lorsque la célèbre empoisonneuse Locuste est apparue dans le roman ! Mes lectures de Suétone et de Tacite me sont alors revenues en mémoire et j'ai senti mes cheveux se dresser sur la tête !
Elle portait une robe noire dépourvue d'ornements, serrée à la taille par une cordelette sans nœud. L'épiderme de son visage émacié et de ses maigres bras était blanc comme si le sang avait déserté toutes les veines de son corps. (...) Elle avait les cheveux défaits et les pieds nus pour être en contact direct avec la terre et le monde souterrain, et se tenait bien droite pour se donner de la prestance et compenser sans doute sa petite taille.
Et quand il aborde son domaine de prédilection, en l'occurrence l'armée au sens large du terme, les descriptions se font encore plus précises, nous permettant de comprendre comment était organisé le corps des vigiles (origines sociales des candidats, système de recrutement, répartition des troupes dans la Ville, hiérarchie, missions, vie quotidienne, etc.) et de prendre connaissance des rivalités qui existaient entre les vigiles et les prétoriens. C'est d'ailleurs à cette occasion que j'ai appris la signification du mot sparteolus ! Comme il figurait sur la couverture, j'ai cru bêtement au départ qu'il s'agissait du prénom du héros. Il m'a fallu attendre la page 118 pour découvrir qu'il s'agissait en fait du surnom donné par les Romains au vigile, ce dernier étant revêtu de protections particulières contre le feu, à savoir des gants en cuir, des brassards et des jambières rembourrées de spart tressé, qui est une mauvaise herbe semblable au jonc. Ces protections étaient imbibées de vinaigre pour les rendre plus résistantes au feu. Toutes ces informations sont tantôt mêlées à la narration tantôt transmises par le biais de notes de bas de page, ce qui est bien pratique car le lecteur a le choix de les lire ou pas et quand il le souhaite.

Une intrigue qui manque un peu de tonus
Mais, parfois, ces dernières m'ont semblé aller un peu trop loin dans le cadre d'un roman, non pas qu'elles soient inintéressantes, bien au contraire, mais elles ont tendance à empiéter sur l'intrigue, l'étouffant un peu. Celle-ci m'a alors donné l'impression, à tort, d'être peu consistante – il s'agit tout de même de lémures qui profitent de la vague d'arrestations de sénateurs pour piller leurs maisons –, alors qu'il s'agit en réalité d'une affaire de grande ampleur, mais les quelques indices distillés au fil du roman sont trop noyés au milieu d'autres informations pour qu'on les distingue, s'interroge à leur propos et les relie entre eux : on se contente de suivre une intrigue qui se déroule de manière plutôt linéaire, sans véritables rebondissements, fausses pistes ou réels dangers. Ainsi, Mamercus Aemilius Clemens gagne trop facilement la confiance de son supérieur pour mener sa propre enquête, aucun obstacle ne se présente véritablement en travers de sa route. Et même quand il se trouve dans une situation potentiellement dangereuse, je n'ai pas tremblé pour lui, car le côté dramatique de la situation n'est pas exploité. Et pourtant, il ne manque pas grand-chose pour que cette intrigue nous tienne véritablement en haleine car tout est en place, mais les différents éléments ne sont pas suffisamment mis en valeur, cela manque un peu de "théâtralité".
L'absence d'une présentation du contexte historique en début d'ouvrage permet aussi peut-être d'expliquer en partie le fait qu'on ne soupçonne pas les tenants et les aboutissants de l'affaire dont s'occupe Mamercus Aemilius Clemens – j'essaie de rester suffisamment vague pour ne pas vous dévoiler le coeur de l'intrigue ! En tout cas, le dénouement est particulièrement prenant et passionnant car on comprend enfin tout, et ce tout est en réalité énorme !

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En conclusion
Points forts :
  • Un auteur historien, qui maîtrise tous les aspects de la civilisation romaine.
  • Un héros atypique : un jeune affranchi devenu vigile.
  • Une restitution très vivante et très précise de la ville de Rome et de l'atmosphère qui y règne en 31 après Jésus-Christ, surtout la nuit et dans les quartiers populaires.
  • Une multitude de petits détails très intéressants sur la vie quotidienne des Romains, nous permettant de mieux comprendre leurs croyances, leurs moeurs, leurs coutumes, etc.
  • Une intrigue qui se base sur des faits historiques.
  • Un auteur prometteur, dans la même lignée de l'excellent et regretté Christian Goudineau.

Points faibles :
  • Une intrigue pas assez musclée, qui pourrait dérouter les amateurs de suspense et d'émotions fortes.
  • Des informations parfois pointues qui nous détournent de l'intrigue, bien qu'elles soient par ailleurs passionnantes.
  • L'absence en début d'ouvrage d'une présentation du contexte historique.
  • L'illustration de couverture : elle est magnifique, mais plusieurs personnes m'ont signalé qu'elle donnait l'impression que le roman s'adressait uniquement à un public adolescent, j'ai eu aussi ce questionnement au moment de référencer ce roman sur mon site.

Merci à François Gilbert qui m'a permis de découvrir ce roman !

L'avis de la presse

  • Archeologia (cliquer sur l'image pour l'agrandir) :

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Jean-Marie Desbois/Tautem
Date de parution : août 2018
Couverture : brochée
Format : 15,5 cm x 23 cm
Pagination : 306 pages
ISBN : 978-2-9187-5462-6

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