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jeudi 2 mars 2017

Mousseline la Sérieuse

Mousseline la Sérieuse
Autrice : Sylvie Yvert

Texte de présentation

Née en 1778, Marie-Thérèse Charlotte de France, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, avait un destin tout tracé, à commencer par une enfance heureuse et dorée au Château de Versailles, régie par une éducation stricte et raffinée. Mais les tourments et tumultes de la Révolution couvent... jusqu'à la fatidique prise de la Bastille. Dès lors la vie de Mousseline la Sérieuse – surnom affectueux de sa mère – sera une tragédie racinienne faite d'errance et de malheurs.
Son père, sa mère, sa tante et ses amis : guillotinés. Ses frères et sa soeur : morts. Elle-même est emprisonnée trois ans et demi, dont un an d'isolement total durant lequel elle ignore la mort de ses proches. Elle est par la suite condamnée deux fois à l'exil. Fille, soeur, nièce et belle-fille des trois derniers rois de France, elle traversera trois révolutions, deux restaurations et sera l'espace de quelques minutes Reine de France. Pourtant, elle n'aura de cesse de rêver jusqu'à son dernier souffle de son pays, la France, et de la reconquête du trône.
Personnage méconnu et fascinant de l'Histoire de France, Mousseline la Sérieuse est le journal imaginaire d'une femme fière et digne marquée par le sceaux de l'opprobre, mais qui jamais ne renonça à faire éclater sa vérité. Une nouvelle lecture passionnante de ce pan pourtant bien connu – croit-on ? – de notre histoire.

Prix littéraire des Princes.
Prix Histoire du Nouveau Cercle de l'Union.

Mon avis : Très Bien

Depuis le roman La Princesse effacée d'Alexandra de Broca, paru en 2011, Marie-Thérèse Charlotte de France, ou Madame Royale, n'avait pas fait l'objet d'un roman. Pourquoi ? Ce personnage historique se prête-t-il mal à la forme romancée ? Manque-t-on d'informations à son sujet ? Sa vie est-elle inintéressante ? À ces trois questions, une seule réponse : non, bien au contraire !
Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte de France est l'unique rescapée de la prison du Temple et, à ce titre, un témoin clé des événements révolutionnaires tels qu'ils ont été vécus par la famille royale. Pourtant, cette femme, considérée par ses contemporains comme dure, froide et insensible, ne s'est guère épanchée sur cette période si douloureuse, couvrant trois années, durant laquelle elle a perdu successivement ses parents, sa tante et son frère. Comment un être ayant vécu de telles souffrances a-t-il pu survivre, se taire et réussir malgré tout sa vie sans être animé par le désir de se venger ?
Car Marie-Thérèse Charlotte de France, née le 19 décembre 1778, a bel et bien survécu à ces traumatismes puisqu'elle s'est éteinte le 19 octobre 1851, après avoir vécu sous six régimes politiques différents – monarchie, Première République (1792-1804), Premier Empire (1804-1815), Restauration et Cent-Jours (1815-1830), Monarchie de Juillet (1830-1848), Deuxième République (1848-1852) – et avoir traversé trois révolutions – la révolution française de 1789, les Trois Glorieuses (ou révolution de Juillet, 1830) et la révolution française de 1848 (ou révolution de Février). S'intéresser à un tel personnage, c'est donc à la fois se plonger dans l'histoire de France, au-delà de la période couvrant la détention à la tour du Temple, et explorer les méandres de la psychologie de l'être humain pour tenter de dresser un portrait de cette femme insaisissable.
"J'étais entrée au Temple avec tous les miens. J'en sortais trois ans, quatre mois et cinq jours plus tard, ne laissant derrière moi que des tombeaux."

Des mémoires apocryphes
Pour écrire ce roman, Sylvie Yvert s'est appuyée sur les textes de l'époque, à savoir dix-huit feuillets écrits de la main de Marie-Thérèse Charlotte de France relatant d'une manière factuelle la captivité de la famille royale à la tour du Temple mais aussi sur sa correspondance et les témoignages de contemporains (femme de chambre de Marie-Antoinette, gouvernante des enfants, valets de Louis XVI, gardiens du Temple ou de la Conciergerie...) et d'écrivains (Chateaubriand, Balzac, Hugo). Toute cette documentation permet certes de mettre en lumière des dates et des faits, mais elle ne peut pas nous fournir d'informations quant aux sentiments, aux émotions et aux pensées des membres de la famille royale. Pour tenter de s'approcher au plus vrai d'une réalité subjective mais sensible et nous raconter cette vie si singulière, hors normes, l'autrice a emprunté la forme des mémoires apocryphes, c'est-à-dire imaginaires, en donnant la parole à Marie-Thérèse Charlotte de France, alors qu'elle se trouve au crépuscule de sa vie, en 1850, et en exil à Venise.

Épaulée par une plume élégante, déliée et délicate, tout en retenue, un style (passé simple et imparfait du subjonctif) et un vocabulaire adaptés à l'époque, cette forme narrative qui s'apparente à un véritable témoignage, voire à une confession, crée un lien très étroit et très intime avec le lecteur qui a l'impression de se trouver aux côtés du personnage. Tout en suivant la chronologie des événements, Marie-Thérèse Charlotte de France nous livre le récit de sa vie, faite de chair et de sang, nous faisant partager ses joies, ses déconvenues, ses peurs, ses angoisses, ses espoirs, ses désirs...

Un point de vue partial
Qui dit mémoires apocryphes dit point de vue subjectif ! En prenant le parti de nous raconter cette période ô combien complexe, violente et douloureuse de la Révolution française à travers les yeux de Marie-Thérèse Charlotte de France, l'autrice nous livre certes un témoignage extrêmement poignant et émouvant mais également un point de vue partial de l'histoire, sans contrepoint. Il ne faut donc pas s'attendre à un panégyrique de la Révolution ! Bien au contraire, tout en respectant la chronologie des faits, fruit d'un bon travail de documentation, on assiste à la lente agonie de la famille royale, devenue le bouc émissaire, la responsable de tous les maux du royaume. Violences verbales, brimades psychologiques, humiliations, absence d'intimité et d'hygiène, isolement, incertitudes quant à son propre sort... : rien ne nous est épargné.

Adopter un tel point de vue sur une période aussi complexe est un peu risqué, car j'avoue avoir été parfois un peu gênée par sa vision totalement idéalisée de ses parents, arbitraire et unilatérale des événements, voire énervée par le ton larmoyant de la narratrice ; j'avais parfois envie de lui dire "Marie-Thérèse, tes parents étaient totalement à côté de la plaque, ils se sont réveillés bien trop tard, le mal était déjà fait." Certes Marie-Antoinette et Louis XVI n'étaient pas tels que les caricatures de l'époque nous les montrent, mais il faut admettre qu'ils ont fait preuve d'un manque de réalisme flagrant.
Mais lorsqu'on lit un tel roman, il faut en accepter les règles du jeu. Et, malgré le ton plaintif de Madame Royale qui pourrait énerver et décourager plus d'un lecteur (surtout s'il a une vision pro-révolutionnaire de l'histoire !), je n'ai jamais eu la tentation de lâcher ce roman, car un lien s'est imperceptiblement installé entre la narratrice et moi, à tel point que j'ai eu la sensation que Marie-Thérèse Charlotte de France se confiait à moi comme si elle était encore en vie. Pleine d'empathie pour cet être en souffrance et pourtant résilient, je ne pouvais pas me détacher de ce roman, j'avais besoin qu'elle m'explique comment on avait pu en arriver à un tel gâchis et comment elle avait pu survivre à de telles souffrances. Car si l'on va un peu plus loin que les apparences, l'on s'aperçoit que Madame Royale apporte parfois quelques nuances dans ses propos, critique le système en place et reconnaît de temps à autre des manquements, des faiblesses, mais c'est souvent pour reprocher la faiblesse et le manque d'autorité de son père. Certes Louis XVI n'était pas destiné à régner – il ne le souhaitait pas d'ailleurs –, mais il a été incapable de donner un coup de pied dans la fourmilière, manipulé par son entourage et englué par l'étiquette de la Cour mise en place au cours des siècles.
"Nous devons à Louis XIV l'invention de cette Cour grouillante, de sa liturgie empesée et de sa lourde étiquette. Dieu que cet héritage a rendu notre famille impopulaire ! Mais comment y échapper ? Ma mère avait souhaité alléger sans succès la nuée de dignitaires qui m'entouraient, ces gens de service n'étant propres, selon elle, qu'à favoriser les sentiments d'orgueil. Hélas ! elle fut contrainte de rendre les armes."
"En s'aliénant les nobles et antiques familles détentrices de charges, en affichant une façon de vivre presque bourgeoise, mes parents descendirent la première marche du piédestal où la naissance les avait placés. Mon père comprit trop tard combien la familiarité éloigne le respect."
À la lecture de ce roman, il est bien difficile de ne pas établir des passerelles avec nos sociétés actuelles même si je n'aime pas faire cela. Car, au-delà de ce personnage et du contexte historique, ce témoignage a une portée universelle qui donne à réfléchir sur le fonctionnement de nos sociétés et nos comportements par-delà les siècles. La violence, la souffrance, le sentiment d'injustice, la manipulation de l'information ne datent pas d'hier !
"C'était au moment où se proclamait la plus libre des Constitutions que les attentats les plus horribles contre la liberté et l'humanité se multipliaient. Le chaos triompha : l'aristocratie fut cette fois torturée et massacrée. La persécution des prêtres, les emprisonnements arbitraires, les accusations sans preuve devinrent l'ordinaire."

Un beau portrait psychologique
"Mousseline la sérieuse" : ce surnom, donné à Marie-Thérèse Charlotte de France par ses proches, résume à lui seul son caractère ambigu fait à la fois de légèreté, de souplesse mais aussi de sévérité, de gravité, voire d'orgueil. Intriguée par ce personnage paradoxal, décrit de manière unanime comme un être froid, dénué de sentiments et hautain, j'espérais découvrir avec ce roman un être sensible, se dissimulant derrière une carapace qui lui avait permis de survivre aux terribles événements qu'elle avait vécus. À travers ses mots, se construit petit à petit le portrait d'une femme résiliente, d'une femme alors adolescente qui a souffert dans sa chair et dans sa tête. Violences psychologiques, violences physiques, rien ne lui a été épargné, et pourtant elle a survécu et est même parvenue à mener une vie normale.
"Si je n'ai pas perdu la raison alors, c'est que l'éducation que l'on m'avait prodiguée, ferme mais tendre et attentive, m'avait donné la force d'âme qui permet de résister aux pires avanies. Le recours à la religion, sur laquelle on avait insisté dans ma jeunesse, fit le reste. En m'exhortant au courage, ma tante m'avait dit que que Dieu ne nous envoyait jamais plus de peine que nous n'en pouvions supporter. On le voit, les apprentissages d'une princesse sont soignés dans les moindres détails, et la dignité, le caractère, l'énergie, la patience en sont les points cardinaux."
"Mais on a bien failli me briser. Il s'en fallut de peu que je ne devinsse tout à fait farouche. Cependant, ces longs mois d'isolement me marquèrent à jamais. Cette difficulté à être à l'aise en société, cette impossibilité à m'abandonner aux confidences, cette réserve extrême qui est passée, à l'âge mûr, pour de l'austérité ou de la sévérité, quand ce n'était pas du mépris, m'ont valu bien des reproches."
"On m'a quelquefois dépeinte comme une femme austère, aigrie et maussade, voire bigote. Mais si j'ai été sévère, je l'ai d'abord été envers moi-même. Et puis, comment conserver fraîcheur, enthousiasme et légèreté quand on a survécu à sa famille, quand on a connu l'exil et un mariage stérile ? On prit mon sens du devoir pour de la froideur, alors que seul m'animait le désir de me protéger de ma redoutable timidité et de la trop vive sensibilité que je m'efforçais de garder en mon for intérieur. Étant donné la rudesse des épreuves traversées, n'était-il point naturel que j'en conservasse des stigmates ?"
Malgré les souffrances endurées, elle a gardé toute sa lucidité et son sang-froid distinguant parfaitement le peuple de France de ses tortionnaires, ne mettant pas tout le monde dans le même sac, conservant par là même intact son amour pour la France. Elle évoque même l'existence d'un complot orléaniste destiné à manipuler le peuple en l'excitant contre Louis XVI.
"Car le peuple, livré à lui-même, ne commet pas d'excès : il ne pille et ne tue que lorsqu'il y a des ambitieux embusqués pour le pousser à la violence."
Ce roman dévoile ainsi la personnalité d'une femme blessée mais forte et combative, pudique et sensible, aidée en cela par une foi inébranlable et le sens du devoir, mais qui n'oublie pas, et ce malgré l'absence de désir de vengeance. Mais ce portrait ne dit pas tout et laisse quelques zones d'ombres : ses relations avec son entourage, notamment son mari Louis Antoine d'Artois, duc d'Angoulême, ne sont abordées que par le prisme des événements et de son statut.

Deux parties déséquilibrées
De Marie-Thérèse Charlotte de France je ne connaissais que la période la plus douloureuse et la plus "spectaculaire" et j'ai apprécié que l'auteur aille au-delà et nous fasse découvrir ce qu'a été sa vie par la suite car, même une fois libérée, ses tourments ne furent pas terminés.
Cependant, si l'auteur s'attarde longuement sur la période révolutionnaire et la captivité au Temple (environ 17 ans), détaillant de manière approfondie la vie quotidienne, les relations familiales, l'éducation des enfants, les sévices subis, elle aborde très rapidement sa libération et sa vie par la suite, qui est justement bien moins connue et bien plus longue (environ 40 ans), ce qui a été une petite source de frustration pour moi.

Et pourtant la seconde partie de sa vie fut tout aussi passionnante, mais peut-être moins bien documentée : libérée en 1795, elle fut accueillie par son oncle, l'empereur François II d'Autriche, et épousa le duc d'Angoulême, Louis-Antoine d'Artois. Elle passa la majorité de sa vie en exil, accueillie dans les différentes cours d'Europe – Autriche, Russie, Angleterre –, au gré des soubresauts de l'Histoire de France. Elle revint en France durant quelques années lors de la Restauration, partageant alors la destinée de ses deux oncles, puis lorsqu'une nouvelle révolution chassa les Bourbons du trône en 1830, elle prit de nouveau la route de l'exil, et ce jusqu'à sa mort, puisqu'elle meurt le 19 octobre 1851 en Autriche. Durant toutes ces années, elle suivit attentivement toutes les évolutions politiques – de Bonaparte Premier Consul à Louis-Philippe en passant par Napoléon Empereur –, distillant quelques remarques qui sont présentes dans le roman, mais elle choisit de rester en retrait, préférant la solitude, espérant toujours le rétablissement de la monarchie. Voilà à grands traits brossée la seconde partie de sa vie... c'est un peu frustrant, non ?!

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En conclusion
Points forts :
  • Le choix du personnage, peu présent dans les romans historiques, car assez énigmatique et en retrait de l'Histoire.
  • La forme narrative intéressante et adaptée au personnage : les mémoires apocryphes.
  • Un beau portrait psychologique d'une femme habituellement présentée comme dédaigneuse, froide et dure, qui se dévoile petit à petit sous nos yeux.
  • Une plume élégante, adaptée à l'époque, sensible, douce et fluide.

Points faibles :
  • Une vision partiale de l'Histoire sans contrepoint, qui déplaira à tous ceux qui détestent la monarchie !
  • Un ton parfois trop larmoyant, qui peut agacer à la longue, surtout quand on a une dent contre la famille royale !
  • Un déséquilibre entre la première partie de sa vie, bien connue et documentée, et la seconde partie de sa vie, moins "spectaculaire" et pourtant tout aussi intéressante.

L'avis des blogueurs

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Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Pocket
Date de parution : mars 2017
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,7 cm
Pagination : 352 pages
ISBN : 978-2-2662-7259-9

Livre numérique

Éditeur : Héloïse d'Ormesson
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Feedbooks : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub

2 commentaires:

  1. J'ai adoré ce livre, le style romancé n'empêche pas une grande rigueur historique! Mon avis sur ce livre pour ceux que ça intéresse sur Petite gazette de mes lectures

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  2. j'ai acheté ce livre lors d'un voyage en France, je voulais quelque chose de différent sur la révolution, j'ai été heureuse de lire ce récit qui nous montre un autre côté de la révolution

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