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mercredi 1 septembre 2021

Le dernier tribun

Le dernier tribun
Auteur : Gilles Martin-Chauffier

Texte de présentation

Nous sommes à Rome, juste à l'heure où elle va dominer le monde, au temps de César.
C'est la capitale du monde, une ville immense et monstrueuse où s'observent et se haïssent Crassus, Cicéron, Catulle, Pompée, César ou Caton.
Spartacus vient d'être tué, Cléopâtre est en ville, l'ambition et la violence sont en ménage, l'art et le sexe s'entendent comme la vis et l'écrou.
Tous les vices qui rendent la vie irrésistible s'épanouissent quand les vertus qui la rendent pénible s'évanouissent.
Cicéron a fait de la morale son fonds de commerce, se présentant comme la voix du peuple alors qu'il est un défenseur acharné du Sénat et des intérêts de l'aristocratie.
Publius Claudius Pulcher, héritier de la famille la plus noble de Rome, se fait adopter par un esclave, change son nom en Clodius, se fait élire tribun de la plèbe et chasse Cicéron de Rome.
Cicéron prend le parti de Pompée, Clodius celui de César. La guerre entre eux dura dix ans et la République n'y survécut pas.
Leur lutte est racontée ici par un philosophe grec, Metaxas, l'ami le plus brillant et le plus sarcastique de Clodius qui le fait venir d'Athènes à Rome pour lui écrire les discours qui lui permettront d'affronter Cicéron à armes égales dans des joutes oratoires où il oppose la démocratie réelle de Clodius à la démocratie formelle de son adversaire.
Metaxas tombe sous le charme de cette ville merveilleuse, accueillante, féminine et effrayante. Puis il va découvrir le sort des capitales qui règnent sur le monde : quand elles n'ont plus d'ennemis étrangers à leur mesure, elles se suicident.
Voici ses Mémoires, qui racontent la chute de la République romaine et la mort de Cicéron.

En complément


Mon avis : Excellent !

Par Jupiter, bonne pioche ! Je manifeste mon étonnement car les bons romans consacrés à l'Antiquité sont rares... Ne connaissant pas l'auteur, j'ai pris ce roman sans trop me faire d'illusions, mais j'avais tellement envie de me plonger dans l'histoire de la Rome antique que j'étais prête à prendre le risque d'être déçue. Un risque d'autant plus élevé que ce roman se déroule non pas sous l'Empire romain, période privilégiée des romanciers, mais à la fin de la République romaine, au Ier siècle avant J.-C. C'est bien moins glamour... mais tellement passionnant !
Le peuple ne déteste pas l'injustice. Il la sait inévitable. Ce qu'il ne supporte pas, c'est le mépris des élites qui se réservent tous les privilèges mais prétendent en plus incarner la vertu républicaine.
À travers le point de vue du philosophe grec Metaxas (personnage fictif), vous allez découvrir comment les plus hauts personnages politiques de cette époque se sont affrontés, verbalement le plus souvent, mais parfois physiquement, pour prendre le pouvoir. Vous y croiserez notamment César (bon, lui, il sort de scène rapidement...), Crassus, Pompée, Marc-Antoine, Octave... Mais ces hommes ne seraient rien sans leurs plumes ! Face à Cicéron qui a pris le parti de Pompée, Clodius fait appel à Metaxas, et ces deux hommes vont se combattre au cours de joutes oratoires mémorables ! Vous ne voyez là que des noms d'hommes ? Que nenni, les femmes sont également bien présentes : Fulvia, épouse de Clodius, Clodia, soeur de Clodius, Diana Metella (personnage fictif), tante de Clodius, pour ne citer qu'elles et autant vous dire qu'elles ne sont pas des potiches, bien au contraire !
Comparer Cicéron à Platon, Diogène, Héraclite ou Pythagore, c'est observer une goutte d'eau à côté d'une perle. Il s'est contenté de les relire, de cocher leurs meilleures formules et de les paraphraser. Un vrai travail d'usurier et, à l'arrivée, un recueil de pensées passe-partout qui hisse l'idéal humain au niveau d'une sagesse de vieille dame : ne rien désirer outre-mesure, trouver les ressources en soi, ne pas dépendre des autres, ne pas faire à autrui ce que vous souhaitez qu'on ne vous fasse pas...
Sans s'en rendre compte, on apprend énormément de choses sur la vie quotidienne des Romains, leurs mentalités, leurs préoccupations, l'architecture, etc., et donc sur l'histoire de la fin de la République. J'avais une vision purement universitaire de cette histoire, la découvrir sous forme romancée m'a permis de lui donner chair et du volume. D'ailleurs, la narration par le biais du "je", c'est-à-dire par le biais du héros de ce roman, donne au récit un côté vivant et permet une immersion immédiate dans l'univers de la Rome antique, tout prend vie sous sa parole.

Et bien que l'on connaisse la fin de l'histoire, Gilles Martin-Chauffier parvient à mettre en place un certain suspense et à le maintenir jusqu'à la fin du roman, notamment grâce à un style alerte (et parfois incisif que j'ai vraiment apprécié, montrant à quel point l'auteur maîtrise son sujet) et à une habile mise en scène des rebondissements, annonciateurs de la chute de la République.
Personne n'a assassiné la République, elle s'est suicidée. De Catalina à César et de Publius à Marc-Antoine, Cicéron peut bien avoir désigné cent fois ses meurtriers au Sénat, c'est son poignard à lui qu'elle s'est enfoncé dansle coeur. Une fois débarrassé de Marius, Sylla avait dit qu'un roi valait mieux qu'une mauvaise loi. Jamais Cicéron ne voulut l'admettre et il refusa jusqu'au bout de réformer un État injuste. Il préférait la guerre civile à l'amendement des institutions. Pompée fut son premier glaive, Octave le second.
♜ ♜ ♜ ♜ ♜ ♜

En conclusion
Points forts :
  • La période traitée : la fin de la République romaine.
  • Un contexte historique retranscrit sans aucune lourdeur.
  • Un angle original, celui des orateurs avec de belles joutes verbales.
  • La découverte de Cicéron sous un autre jour (Cicéron a fait l'objet de plusieurs romans de Robert Harris).
  • Un style alerte et parfois incisif, manié avec une grande finesse.

Points faibles :
  • Malgré ses 336 pages, le roman m'a semblé court !
  • J'aurais aimé que l'auteur rentre davantage dans le détail, j'ai parfois eu la sensation qu'il survolait certains événements, les réactions ou les sentiments de certains personnages (mais cela aurait peut-être rendu l'ensemble peu digeste ?).

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Grasset
Date de parution : septembre 2021
Couverture : brochée
Format : 14,5 cm x 20,5 cm
Pagination : 336 pages
ISBN : 978-2-2468-2868-6

Livre numérique

Éditeur : Grasset
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub

jeudi 6 juin 2019

Les Quarante-cinq

Les quarante-cinq
Auteur : Alexandre Dumas

Texte de présentation

En 1585, dans une France déchirée par les guerres de Religion, l'étau se resserre autour d'Henri III. Le roi s'attache une troupe de gentilshommes gascons, les Quarante-Cinq. Leur mission : assurer sa garde rapprochée et le protéger des complots ourdis par les Guises qui rêvent de s'emparer du pouvoir...
Sur une base historique réelle, ce troisième volet de la "Trilogie des Valois" est un passionnant roman d'aventures qui fait la part belle au spirituel Chicot, le bouffon du roi. Il offre une suite à La Reine Margot et à La Dame de Monsoreau, mais peut aussi se lire de manière autonome. Dans la grande tradition du roman historique, Dumas mêle personnages fictifs et réels, intrigues politiques et amoureuses, le tout sur un rythme endiablé, où les rebondissements s'enchaînent autant que les bons mots. En historien, il explique la fin des Valois et l'avènement d'Henri IV, en faisant d'Henri III un personnage tragique, l'un de ces "rois marqués par la fatalité pour qu'une race s'éteigne en eux et avec eux".

En complément


Mon avis : Excellent


Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Folio
Date de parution : mars 2000
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,8 cm
Pagination : 1104 pages
ISBN : 978-2-0704-5447-1

Livre numérique

Gratuit (domaine public)
Format : 7switch : ePub, Mobipocket ou PDF (tomes 1, 2 et 3) –– Amazon : Kindle (tomes 1, 2 et 3) –– Bibebook : ePub, Kindle ou PDF (tomes 1, 2 ou 3) –– Decitre : ePub (tomes 1, 2 et 3) ou multiformat  (tomes 1, 2 et 3) –– Ebooks libres et gratuits : ePub, Mobipocket ou PDF (tomes 1, 2 et 3) –– ePagine : ePub (tomes 1, 2 et 3) –– Fnac : ePub (Bibebook : tomes 1, 2 et 3) ou ePub (Ebooks libres et gratuits : tomes 1, 2 et 3) –– Gutenberg : multiformat –– La Bibliothèque électronique du Québec : ePub ou PDF

jeudi 9 mai 2019

Les enquêtes de Victor Dauterive. Tome 3 : La disparue de Saint-Maur

La disparue de Saint-Maur
Auteur : Jean-Christophe Portes

Texte de présentation

En cet hiver 1791, la France est au bord du chaos. Depuis sa fuite à Varennes, Louis XVI est totalement discrédité. Royalistes et nouveaux députés se menacent, armes à la main et la tension est extrême.
C'est dans ce contexte explosif qu'Anne-Louise Ferrières disparaît. La belle et mystérieuse fille d'aristocrates désargentés, encore célibataire à 30 ans, n'a pas été vue depuis une semaine. Et une semaine, avec ce froid polaire... Plus personne ne s'attend à la retrouver en vie.
Enlèvement ? Suicide ? Fuite ? Étrangement, la question semble laisser sa famille de glace. Loin de dissuader le gendarme Victor Dauterive, cette indifférence hostile excite sa curiosité. Et il flaire chez les Ferrières des manigances qui débordent largement le cadre familial...
Une enquête de Victor Dauterive dans la France révolutionnaire.

En complément


Mon avis : Excellent

Très riche en événements, l'année 1791 est une nouvelle fois au coeur de la série des enquêtes de Victor Dauterive avec ce troisième tome qui se déroule plus précisément entre la fin du mois de novembre et la fin du mois de décembre.
Depuis l'arrestation de Louis XVI à Varennes le 21 juin 1791, la situation politique est tendue alors que, dans le même temps, le pays s'enfonce de plus en plus dans la crise économique. Les différents groupes politiques siégeant à l'Assemblée législative tentent de s'imposer par tous les moyens possibles... complots, coups bas, trahisons, tout est bon pour s'emparer du pouvoir ! Aux frontières, l'inquiétude est également grande : depuis quelque temps, nombre d'émigrés, avec parmi eux des officiers nobles, intriguent pour obtenir une intervention militaire et se rassemblent pour former une armée d'appoint. Le pays se trouve ainsi au bord du chaos, menacé en son sein-même et à ses frontières.
C'est dans ce contexte explosif que notre jeune héros, l'officier de gendarmerie Victor Dauterive, est chargé d'enquêter sur la disparition d'Anne-Louise Ferrières, une jeune aristocrate résidant avec sa famille à Saint-Maur. Fugue, enlèvement, meurtre, suicide... aucune piste n'est écartée et l'enquête se révèle d'autant plus difficile que Victor se heurte immédiatement à l'hostilité des proches qui souhaitent étouffer l'affaire. Réaction pour le moins étrange... Et comme si cela ne suffisait pas, le marquis de La Fayette, qui s'était retiré en Auvergne, refait son apparition ; ayant décidé de se présenter aux élections municipales de Paris, il demande à Victor, toutes affaires cessantes, d'espionner Pétion, son principal adversaire dans la course à l'investiture, pour identifier ses points faibles afin de le décrédibiliser et de gagner l'élection.

Deux enquêtes bien distinctes
Dans le tome précédent, nous avions affaire à deux enquêtes menées en parallèle, qui finissaient par se rejoindre à un moment donné. Ici, nous avons de nouveau deux enquêtes menées de front, mais l'originalité vient du fait qu'elles ne sont pas dirigées par le même personnage, sauf au début du roman, et qu'elles sont totalement distinctes l'une de l'autre.
D'un côté, un fait divers, à savoir l'affaire de la jeune femme disparue de Saint-Maur et, de l'autre, une enquête politique autour du rôle de Pétion et de celui de l'Angleterre dans la Révolution française. Autant vous dire que j'ai cherché jusqu'au bout du roman à savoir si ces deux intrigues pouvaient être reliées entre elles, imaginant des passerelles plus improbables les unes que les autres, tant j'étais persuadée que l'auteur allait suivre le même schéma que dans le tome précédent. Eh non ! Mais cette recherche incertaine m'a tenue en haleine pratiquement jusqu'au bout du roman !
Ce schéma – deux enquêtes menées en parallèle mais n'ayant aucun rapport l'une avec l'autre – me semble assez inhabituel et plutôt risqué en ce sens où l'auteur doit conduire et maîtriser deux intrigues en même temps et veiller au bon équilibre et aux bonnes transitions entre les deux, sous peine de voir le lecteur décrocher à tout moment. Mais ces deux enquêtes, menées de main de maître et au même rythme, m'ont vraiment passionnée du fait qu'elles étaient vraiment différentes l'une de l'autre : la première, liée à un drame familial, relève de l'humain, de l'individu, de la société tandis que la seconde relève du politique et de l'Histoire. Mais ne croyez pas que l'intrigue à caractère politique soit dépourvue d'émotions et de sentiments !

Un héros soumis à rude épreuve et une enquêtrice de choc !
Autant j'avais trouvé Victor un peu falot et insipide dans le tome précédent, se tirant un peu trop facilement d'affaire, autant notre héros se trouve confronté ici à des périls bien réels, voire à une avalanche impressionnante de dangers. Car il a beau tenter de mener ses deux enquêtes de front, désobéissant ainsi au marquis de La Fayette, il est rapidement obligé de céder devant l'intransigeance de ce dernier et de se consacrer exclusivement à l'enquête qu'il lui a confiée. Ce qu'il ignore, c'est que son amie et écrivaine Olympe de Gouges a pris le relais à son insu et elle non plus ne se ménage pas pour faire éclater la vérité, et son statut de femme joue même un rôle important dans la résolution de l'affaire. Deux enquêtes distinctes, deux enquêteurs, un homme et une femme... mais une amitié trouble, des affinités évidentes même si elles restent inavouées ! Cela promet pour la suite de la série !
En découvrant ce beau portrait de femme en couverture (Portrait de la Baronne de Crussol, Élisabeth-Louise Vigée-Lebrun, Musée des Augustins, Toulouse), je me suis dit que ce tome allait mettre davantage à l'honneur les femmes – dans le précédent tome, Olympe de Gouges était restée trop en retrait à mon goût. Mais je pensais surtout à la disparue, Anne-Louise Ferrières, supposant dans un premier temps qu'elle serait un personnage central du roman... elle le fut un certain temps mais surtout en raison de son absence ! Son personnage permet surtout de mettre en avant le difficile statut de la femme au XVIIIe siècle, qui se doit d'être soumise, obéissant à son père puis à son mari... Mais la belle surprise est venue d'Olympe de Gouges, quel beau personnage ! Une femme déterminée, en avance sur son temps, avec du caractère, intelligente, une enquêtrice idéale qui nous permet de bien mesurer la place de la femme dans la société d'alors, son statut, ses droits, le regard qu'on portait sur elle, ses peurs, etc. Car, oui, elle aussi m'a procuré de belles frayeurs à s'aventurer comme ça en dehors de Paris, dans des quartiers malfamés, à des heures tardives, par un temps exécrable, mais notre Olympe est tenace, têtue, elle ne lâche rien ! Et j'ai adoré le fait qu'elle n'en fasse qu'à sa tête et mette un peu le bazar dans l'enquête initialement menée par Victor !
"Mais quand donc pourrons-nous, nous, les femmes, décider de notre propre sort ? Quand pourrons-nous quitter notre mari s'il nous bat ? Quand donc cessera-t-on de nous interdire le divorce, au motif qu'il serait sacrilège, et qu'il rompt les liens sacrés du mariage? Est-il sacrilège de vouloir vivre sa vie ? Est-il sacré de vivre sous le joug d'un mari ou d'un père, de subir l'injustice et de devoir se taire toute sa vie durant ? Ces messieurs de l'Assemblée et des clubs nous parlent sans cesse de liberté et d'égalité. La liberté et l'égalité, oui, mais pour eux uniquement."
Ceci étant, même si je me suis naturellement davantage identifiée à Olympe, le personnage de Victor ne m'a pas laissée indifférente dans ce tome. En effet, l'auteur lui a réservé une série d'épreuves bien carabinées qui, tel un parcours de vie rempli d'obstacles, vont lui permettre en un temps très court de s'affirmer, de s'endurcir et de devenir, au terme de ce roman, un adulte prêt à affronter de nouveaux défis. Il va ainsi passer par toutes sortes d'émotions parfois contradictoires, nous le rendant d'autant plus attachant car réaliste, bien loin du personnage naïf et idéaliste du tome précédent : il va souffrir, il va espérer, il va se tromper, il va avoir peur, il va s'inquiéter... Un personnage qui doute aussi, qui se sent parfois manipulé comme une marionnette par La Fayette et dont il aimerait bien se défaire comme il s'est défait de la tutelle paternelle.
"Vous êtes mineur, Victor. Pendant deux ans, votre père a encore tous les droits sur vous. Y compris celui de vous placer en maison de correction, tête de mule que vous êtes. Et il le ferait, croyez-moi, si vous n'étiez pas officier de gendarmerie. Que croyez-vous qu'il se passerait si ce n'était plus le cas ? [...] Mais sans moi, vous n'êtes rien ! Il me suffit d'un mot pour vous chasser de la gendarmerie. [...] Sans moi, sans ma protection, demain, vous retournerez chez vous en Bourgogne, à bon droit !"
Mais j'ai bien cru qu'on allait perdre notre petit Victor ou qu'il allait nous revenir mais pas entier… ceci dit, pour un peu, il aurait pu perdre un doigt, voire plus ! En effet, après l'hostilité de la famille Ferrières, le voici confronté au retour du marquis de La Fayette, son mentor, dont il pensait s'être libéré et qui lui impose une mission qu'il doit mener avec son grand ennemi Charpier ! De là, il se retrouve en Angleterre, en situation plus que précaire puisqu'il ne maîtrise pas la langue anglaise, pour finir très vite dans un cachot, soumis à la torture. Son retour en France est rocambolesque. D'un sombre cachot à des courses-poursuites sur les toits ou dans la campagne, Victor est partout ! On pourrait croire que la coupe est pleine et que plus rien ne peut arriver… Eh bien non, que reste-t-il ? Les problèmes familiaux... je ne vous en dirai pas plus, mais ils seront loin d'être résolus à la fin de ce roman, bien au contraire, et cela crée un sacré suspense pour la suite de la série !

Victor-Joseph Turpin, un personnage qui prend de l'ampleur malgré son absence
L'autre personnage qui commence à s'imposer dans cette série est celui du jeune orphelin boiteux recueilli par Victor, Victor-Joseph Turpin, et pourtant il est absent durant la majeure partie du roman, et pour cause : dès le début du récit, les relations entre lui et Victor sont tendues, ce dernier souhaite lui donner une instruction et une éducation tandis que Victor-Joseph ne rêve que de liberté et d'être aimé.
Face à l'impatience, à l'irritation et à l'exigence de Victor, le jeune garçon est déstabilisé, il ne se sent plus à sa place et son mal-être va grandissant jusqu'au jour où il décide de fuguer. Pour Victor, cette fuite va agir comme un révélateur : il comprend qu'il a été bien trop dur avec cet enfant qui a tout perdu et qui a besoin avant tout d'amour, et qu'il est en train de reproduire le comportement que son père a eu à son égard !
C'est ainsi à travers les yeux de Victor, alors qu'il part à la recherche de Victor-Joseph pour réparer ses erreurs, que l'on découvre la vie quotidienne de ces enfants orphelins, démunis et livrés à eux-mêmes, qui se regroupent sous la coupe d'un chef pour commettre des vols et des menus larcins. Là encore, je pense que ce personnage est promis à un bel avenir dans la série.
"La colère et l'humiliation de la journée remontaient d'un coup. Ce n'était pas la première fois qu'il s'emportait contre Joseph. Il avait eu pitié de lui autrefois, certes il lui rendait service et s'occupait bien de Gris-Poil, mais son comportement l'agaçait maintenant. Sa négligence, son insouciance, sa réticence à toute forme d'apprentissage. Plusieurs fois il avait essayé de lui enseigner comment mieux parler, de l'intéresser à l'écriture. Mais non, rien à faire. Il n'avait aucune envie de s'instruire, de s'élever dans le monde. C'était tout juste s'il consentait à se débarbouiller de temps en temps."
Une description précise et vivante de Paris et de Londres
En suivant Victor et Olympe de Gouges dans leurs enquêtes respectives, on découvre une nouvelle fois un portrait époustouflant de véracité de Paris sous la Révolution française, le tout dans un style fluide mais précis, sans descriptions interminables. Paris mais aussi sa banlieue, et la carte reproduite en début d'ouvrage est là pour nous le rappeler : la capitale à la fin du XVIIIe siècle n'était pas aussi étendue qu'aujourd'hui, et les faubourgs n'étaient pas toujours faciles d'accès et rassurants.
"Saint-Maur était un bourg de quelques dizaines de maisons, certaines en pierre assez cossues. Au-delà, on devinait un grand parc arboré puis une plaine qui descendait en pente douce vers ce qui lui parut la boucle d'une rivière, le tout noyé sous une pluie brumeuse et sombre, qui confondait le sol et le ciel dans une estampe sinistre."
"L'aqueduc, qui avait disparu de sa vision pendant la descente, se révéla dans toute sa grandeur au fond de la vallée. Un épais brouillard montait du sol, tout était blanc, et figé dans le silence. Cinq ou six misérables maisons – presque des cabanes – s'accolaient aux gigantesques arches en pierre de taille."
Ceci étant, Victor se promène également dans certains quartiers parisiens peu sûrs, comme le quartier Saint-Marcel qui, aujourd'hui, n'est plus du tout une zone dangereuse !
Mais l'on découvre également la topographie, la géographie et la vie quotidienne à Londres à la fin du XVIIIe siècle, la comparaison entre les deux capitales est d'ailleurs fort intéressante.
"Enfin ils découvrirent Londres, grande cité noire dont les toits s'étendaient jusqu'à l'horizon ; le fleuve s'encombrait d'une infinité de bateaux, gabarres, chaloupes de toutes sortes et gros bâtiments de guerre. Un port, un peuple de marins.
Ils débarquèrent au pied d'une formidable forteresse grise aux tours carrées, aussi grise que la Tamise elle-même [...] Ils empruntèrent des rues assez propres et larges, aux maison riches, passèrent au pied d'une grande église [...] Quittant ces larges voies, le fiacre s'engagea dans des rues plus populaires aux maisons de briques."
"Charpier avait donné au cocher l'adresse d'une boutique dans Park Lane, l'une des avenues les plus prestigieuses de la ville. La fièvre immobilière qui régnait au nord de cette voie n'était pas sans rappeler celle de la Chaussée-d'Antin à Paris : partout, ce n'étaient que des chantiers et des lotissements, de part et d'autre d'une grande avenue."
C'est une chose que d'enquêter dans des quartiers parisiens ou dans des villes de banlieue peu sûres, c'en est une autre de le faire au XVIIIe siècle quand le temps est exécrable ! Certes, on est fin novembre, mais la lumière est particulièrement faible, le ciel est plombé, les températures sont glaciales, le vent souffle par rafales, la pluie glacée ne cesse de tomber...
"Il lui fallut parcourir plus deux cents toises avant de découvrir un chemin qui s'enfonçait dans la vallée, entre deux haies pétrifiées. Dès les premiers pas, elle regretta sa témérité. Ses bottines glissaient terriblement, on aurait dit des patins à glace."
Ces conditions climatiques particulières contribuent à créer une atmosphère vraiment inquiétante, pesante et très sombre, très "fin du monde", à l'image de certains personnages...

Des personnages glauques...
Au cours de leurs pérégrinations dans cette atmosphère lourde et glaciale, Victor et Olympe vont croiser différents personnages, soit réels (La Fayette, Jérôme Pétion, marquis de Travanet, Edward FitzGerald...), soit fictionnels, qui coexistent sans aucun problème. Bien qu'il n'y ait pas pléthore de personnages, l'auteur a eu tout de même la bonne idée d'en dresser la liste au début du roman. Qu'ils soient réels ou inventés, il n'y a pas un protagoniste qui échappe à la plume acérée de l'auteur, et ce pour notre plus grand plaisir ! Entre l'irascible et l'hostile baronne Ferrières, l'indifférence et le mutisme du baron Ferrières, Victor et Olympe se trouvent confrontés à des personnages vraiment étranges, tant sur le plan psychologique que physique – je vous laisse découvrir les quelques descriptions ci-après :
  • Marguerite Perret de Bauchamps, mère abbesse du couvent des Pénitentes : "C'était une petite personne en cape noire et robe de nonne, la figure enserrée dans une coiffe blanche. Même à demi dissimulé, son visage était dépourvu de toute grâce, avec ses yeux noirs sans éclat, son teint couperosé, et son petit nez quelconque. Sa silhouette évoquait irrésistiblement celle d'un tonneau."
  • Le marquis de Travanet : "Une grosse tête à la bouche large et gourmande comme celle d'un batracien, les yeux mobiles, le menton fort et les cheveux en crinière."
  • Le juge de paix Gruchet : "Pierre-Antoine Gruchet, vieux grison haut comme trois pommes, était à demi bossu, la tête grosse et la barbe blanche très fournie, ses cheveux épais maigrement poudrés, la cravate crasseuse sous son habit à la française en gros drap."
  • La baronne Ferrière : "C'était le genre de femme à n'avoir jamais été belle. Il devinait une enfant sans grâce, aux traits quelconques. Même les yeux en mande, assez grands, ne reflétaient rien d'autre que l'inquiétude. Par avance, ils repoussaient tout sentiment, toute tendresse et toute ironie. Les autres étaient des ennemis, la vie un champ de bataille."
  • Beauvisage : "Son nom lui convenait assez mal : la quarantaine, il avait les traits rustiques et la maigreur solide d'un paysan."
  • Charpier : "Âgé d'une cinquantaine d'années, le visage ascétique marqué de deux longs plis d'amertume aux joues, il portait comme toujours un habite sombre de belle facture, une cravate blanche et des bas de soie. [...] Son regard bleu, entouré de longs cils noirs qui lui donnaient l'air d'être maquillé, était toujours le même. Dur, scrutateur, calme et cynique."
De par leurs caractères atypiques voire inquiétants, ces personnages sont difficiles à cerner : sont-ils des "gentils" ou bien des "méchants" ? Pour certains d'entre eux, le doute est permis jusqu'au bout du roman. Certains nous étonnent, comme Charpier que je n'ai pas réussi à détester et que j'ai fini par apprécier tout en continuant à me méfier de lui, d'autres nous déçoivent, voire nous énervent, comme La Fayette...

Une chronologie pas toujours respectée
Le contexte historique est certes abordé en début de roman, permettant au lecteur de bien situer l'action du roman dans un champ plus vaste et d'avoir les clés pour bien comprendre l'enquête à venir, mais je le trouve trop rapidement brossé. C'est plutôt à travers l'histoire de certains de ces personnages qu'on prend connaissance de certains faits historiques, par l'exemple l'application de la Constitution civile du clergé avec le personnage de la mère abbesse :
"La constitution civile du clergé avait déchiré la France en deux partis, celui des prêtres assermentés et celui des réfractaires, ou non-jureurs. Nombre d'églises ou de bâtiments cultuels, vendus comme biens nationaux, avaient été détruits ou transformés en édifices laïcs, parfois en entrepôts."
La présence d'une note au lecteur en fin de roman dévoilant les éléments fictionnels et la réalité est très intéressante et judicieuse car c'est là que l'auteur peut justifier certains de ses choix. Et c'est là que j'aurais aimé qu'il parle de la chronologie des événements qu'il n'a pas toujours respecté pour des motifs liés notamment à l'intrigue.
En effet, Pétion a été élu maire de Paris en novembre et non en décembre. Cela n'a aucune conséquence sur le déroulement de l'intrigue, mais j'avoue que cela m'a un peu perturbée car je lis des romans historiques certes pour m'évader, mais également parce que j'aime l'Histoire et apprendre par le biais de ce type de lecture. Et le respect de la chronologie des faits est pour moi essentielle. Or du fait que l'élection de Pétion nous est présentée en décembre dans le roman sans qu'il soit précisé dans la note au lecteur qu'il s'agit d'une interprétation, le doute a commencé à me tarauder, au point de questionner directement l'auteur qui m'a gentiment répondu pour me rassurer. Oui, il ne faut pas oublier que nous sommes dans le cadre d'un roman et l'auteur a le droit de laisser libre cours à son imagination. Cependant, autant cela ne me gêne pas quand le récit se situe dans les zones d'ombre de l'Histoire – quand une période ou un personnage sont mal documentés –, autant cela me perturbe quand les faits et les dates sont avérés, quand les actions des personnages sont vérifiées. Dans tous les cas, il me semble qu'il est important d'aborder cette question dans la note au lecteur car c'est bien là que l'auteur peut expliquer ses choix.

♜ ♜ ♜ ♜ ♜ ♜

En conclusion
Points forts :
  • Deux intrigues indépendantes et très différentes, l'une relevant du drame familial, l'autre du politique, menées de front et de main de maître.
  • L'habileté avec laquelle les deux enquêtes sont intégrées dans le contexte politique et social de l'époque.
  • Des personnages qui, face aux événements, prennent de l'ampleur et deviennent ainsi plus réalistes, donc plus attachants.
  • Un magnifique personnage féminin qui s'impose de par sa grâce, son intelligence et sa désinvolture : Olympe de Gouges !
  • L'irruption du passé familial dans l'intrigue et les tergiversations qui en découlent pour Victor.
  • L'objectivité avec laquelle l'auteur met en scène les protagonistes de la Révolution, d'un côté les représentants de l'Ancien Régime, de l'autre ceux du monde nouveau.
  • La reconstitution historique, que ce soit la vie quotidienne, les lieux, les conditions climatiques, les événements politiques, etc.

Points faibles :
  • Une chronologie des événements pas toujours respectée et non justifiée dans la note au lecteur en fin d'ouvrage (qui est pourtant détaillée et très intéressante).

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : City
Date de parution : mai 2019
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 18 cm
Pagination : 528 pages
ISBN : 978-2-8246-1483-0

Livre numérique

Éditeur : City
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jeudi 14 mars 2019

Dans les yeux de Mona Lisa

Dans les yeux de Mona Lisa
Auteur : Alain Le Ninèze

Texte de présentation

Cinq siècles après la mort de Léonard de Vinci, Mona Lisa parle. Cinq siècles à écouter, observer, espionner... Elle raconte ici son histoire, depuis le temps où elle vit le jour à Florence jusqu’à notre époque où, devenue le plus célèbre tableau du monde, elle trône en idole au musée du Louvre.
Célébrité, disgrâce, kidnapping et agressions diverses, détournement d'image, vie clandestine pendant les guerres, voyages diplomatiques à travers le monde, la Joconde a traversé bien des épreuves. Elle a fréquenté aussi les grands de l'Histoire, de François Ier à John F. Kennedy en passant par Louis XIV et Napoléon. Et elle a vu, parfois, ce que ses yeux n'auraient pas dû voir...

En complément

Mon avis : Excellent

Jusqu'à maintenant, quand je me rendais au musée du Louvre, je n'allais quasiment plus voir La Joconde ou alors juste en passant. Je me disais que je l'avais déjà vue à maintes reprises, qu'il était impossible de la regarder tranquillement et qu'il y avait bien d'autres oeuvres injustement ignorées des visiteurs et qui méritaient le détour.
Certes, il est impossible de rester au-delà de quelques secondes devant La Joconde, succès oblige, certes il y a d'autres oeuvres magnifiques dans ce musée, mais depuis que j'ai lu ce roman, mon regard sur La Joconde a changé. La prochaine fois que je me rendrai au musée du Louvre, j'irai lui faire un petit coucou comme à quelqu'un qu'on connaît bien, car grâce à ce roman ce tableau a littéralement pris vie pour moi ! La Joconde n'est plus seulement un tableau, ce n'est plus seulement l'être qui a posé pour Léonard de Vinci, c'est l'ensemble qui est vivant, la femme qui a posé et qui se trouve dans le tableau !
Il faut le reconnaître, La Joconde a beau attirer les touristes du monde entier, elle fait un peu partie des meubles, on la photographie, on fait un selfie et zou on part. En d'autres termes, on la voit, mais on ne la regarde pas, chacun de nous pensant bien la connaître. Pourtant, si on gratte un peu le vernis (au sens figuré !), elle a énormément de choses à nous raconter, ayant traversé par moins de cinq siècles d'histoire.

Un tableau vivant !
Pour nous faire découvrir l'histoire fabuleuse de ce tableau, l'auteur a pris le parti ingénieux et original de donner la parole à la femme peinte dans ce tableau, à l'être humain vivant dans le tableau ! Ce mode de narration, attribué à un objet, est vraiment inattendu et l'effet est spectaculaire : en nous permettant d'approcher l'oeuvre d'une manière très sensible, il nous donne l'impression d'une très grande proximité avec le tableau qui s'humanise dès la première ligne, il devient vivant, et le demeure jusqu'à la fin... et je dirais même bien au-delà dans mon cas !

Un caractère bien trempé
En prenant la parole, La Joconde nous précise de suite que ce récit, constitué de courts chapitres bien rythmés, est destiné à Edgar, son fidèle gardien qui selon elle "m'aime, et me comprend, et lit dans mes pensées", afin qu'il sache tout de son histoire, depuis sa création en 1503 dans l'atelier florentin de Léonard de Vinci jusqu'à ce mois de janvier 2019.
Entre ces deux dates, elle a vécu toutes sortes d'aventures au gré des événements de l'histoire de France et rencontré de nombreux personnages historiques : Léonard de Vinci, Salaï, Francesco Melzi, Sandro Botticelli, François Ier et ses différentes maîtresses (Marie Gaudin, Françoise de Châteaubriant, Anne de Pisseleu), Louis XIV et ses différentes maîtresses (La Vallière, Louis XIV, Madame de Montespan, Madame de Maintenon), Colbert, Louis XV, Le Bernin, Cambacérès, Talleyrand, Talma, Théophile Gautier, Delacroix, Manet, Baudelaire, George Sand, etc. C'est l'occasion pour elle de nous livrer quelques anecdotes et avis bien tranchés sur tel ou tel personnage, on peut dire qu'elle ne mâche pas ses mots et c'est vraiment drôle, car on découvre certains personnages sous un angle inédit ; on imagine ainsi sans peine La Joconde en train d'observer Louis XIV :
"Je fus, je dois l'avouer, aussi surprise que déçue par son aspect. Louis, qui était alors âgé d'environ vingt-cinq ans, était aussi petit que François avait été d'une taille et d'une stature imposantes. Il se haussait sur ses escarpins pour se grandir, et tout dans son maintien exprimait une sorte de morgue hautaine. Autant dire qu'il ne m'inspira aucune sympathie."
Quant à Salaï, il a beau être le protégé de Léonard de Vinci, qui lui pardonne tout, La Joconde n'est pas dupe : "Menteur, paresseux, hypocrite, voleur, Salaï avait tous les défauts." Mais elle n'est pas en reste non plus avec les femmes, comme George Sand qui la compare à la Méduse :
"Pour qui se prenait-elle, elle, avec ses yeux globuleux, ses joues épaisses et son menton fuyant ? Il est vrai qu'elle avait autrefois séduit Musset et Chopin, pour ne citer que ces deux-là parmi ses innombrables amants… Mais qu'avaient-ils pu lui trouver ?"
Ah, elle en a du caractère ! Et il en fallait pour supporter tout ce qu'elle a subi durant ces cinq siècles d'histoire. Car contrairement à ce qu'on pourrait croire, elle n'a pas toujours fait l'objet d'admiration, se retrouvant parfois reléguée dans des pièces ou des lieux peu fréquentés, tels "le triste et sombre" appartement des Bains de Fontainebleau ou le salon de l'hôtel de la Surintendance des Bâtiments royaux de Versailles, et c'est l'une des choses que j'ai apprise en lisant ce roman. Adulée par François Ier, elle a été peu à peu délaissée par les souverains suivants, notamment Louis XIV et Louis XV qu'elle n'apprécie pas du tout ! Napoléon lui trouvait du charme mais Joséphine de Beauharnais ne l'appréciait guère, lui trouvant le "sourire ironique". Ce n'est qu'au moment de son vol, en 1911, qu'elle a véritablement regagné son aura et bien au-delà. Elle est véritablement devenue une star internationale, voyageant à plusieurs reprises jusqu'en 1974, aux États-Unis où elle rencontre Jackie et John Kennedy, au Japon, en Russie où les foules se pressent pour l'admirer.

Une vie mouvementée
C'est donc avec beaucoup de curiosité et d'intérêt que j'ai découvert l'histoire de ce tableau, au-delà des deux grandes dates connues de tous, sa création (1503) et son vol (1911), et l'une des autres choses apprises en lisant ce roman c'est que La Joconde n'est pas allée directement d'Amboise au musée du Louvre, elle est passée par différents lieux : le château de Fontainebleau, le château de Versailles, le palais du Louvre, le palais des Tuileries, le musée du Louvre, l'Arsenal de Brest, l'église des Jacobins de Toulouse, Montauban, le château de Chambord, le musée Ingres à Montauban, divers châteaux du Lot et du Quercy dont le château de Montal, etc.
Son périple durant les deux conflits mondiaux a tout particulièrement attiré mon attention. Plus précisément, son parcours durant la Seconde Guerre mondiale m'a passionnée – je ne le connaissais que dans les grandes lignes –, car à travers le regard de La Joconde, on assiste à son "évacuation" en différents lieux et elle va finir par se retrouver au château de Montal sous la surveillance de René Huyghe, conservateur au Musée du Louvre et résistant. On assiste même à une rencontre entre ce dernier et René Jaujard, directeur du Louvre et résistant, au cours de laquelle ils évoquent le vol des oeuvres d'art par les Allemands, la mise en sécurité des oeuvres d'art du Musée du Louvre en province et l'action de Rose Valland, attachée de conservation au musée du Jeu de paume, pour lutter contre ce trafic d'oeuvres d'art.

Une femme émouvante
Mais ne croyez pas que La Joconde ne soit qu'une cancanière, si tant est qu'elle le soit car son jugement me semble plutôt juste, elle fait preuve de beaucoup de sensibilité, aussi bien à l'égard de son créateur, Léonard de Vinci, que de François Ier. À travers son regard, on apprend beaucoup sur ces deux personnages, leurs caractères, leurs vies... Quand elle évoque la mort de Léonard de Vinci, on sent que la tristesse, difficilement retenue, l'étreint ; il en va de même pour François Ier :
"François s'éloigna pour monter à l'étage. Lorsqu'il passa devant moi, il me lança un rapide coup d'oeil et j'aperçus, l'espace d'un instant, son visage ravagé par le chagrin. Un chagrin que je partageais. S'il considérait Leonardo comme un père, ainsi qu'il l'avait dit, nous étions l'un et l'autre frappés par le deuil. À cette différence près que, pour moi, c'était vrai. Leonardo était réellement mon père."
"La disparition de François a été le plus grand chagrin de ma vie après le décès du Maître. Car si Leonardo avait été mon père, François m'avait adoptée comme une… disons une amie de coeur. J'eus la douloureuse impression, après sa mort, d'être seule au monde. Et ce n'était pas seulement une impression : pendant les temps qui suivirent, je ne vis pour ainsi dire personne. On ne s'intéressait plus à moi, on m'avait oubliée."
Deux histoires mêlées
L'autre point original de ce roman est l'insertion d'une histoire contemporaine, permettant de donner encore plus d'ampleur à ce roman, ne le laissant pas cantonné à l'histoire de ce tableau. J'ai été un peu dubitative en découvrant le premier chapitre consacré à cette histoire qui se déroule au XXIe siècle, me demandant où elle allait mener, mais l'alternance des chapitres courts, consacrés tantôt au passé, tantôt au présent, fonctionne parfaitement bien puisque la narration est en permanence conduite par La Joconde, le lien se fait donc tout naturellement entre les différents chapitres.
Cette histoire est basée sur trois personnages, un jeune homme étudiant à l'École des Beaux-Arts de Paris, Robert Alias, qui vient chaque jour travailler devant l'oeuvre, une jeune femme un peu paumée, Alexandra Baader, dont on ne comprend pas bien le but (jusqu'au dénouement final) et le gardien de la salle, Edgar, qui aime passionnément La Joconde. Là encore, cette dernière nous fait l'honneur de ses confidences et de ses opinions sur ses visiteurs et donc sur la société actuelle, un point de vue fort intéressant et parfois incisif !
"[…] dans la foule de ces touristes qui, eux, me fatiguent de plus en plus avec leurs manies, dont la dernière est de se photographier eux-mêmes avec mon image en arrière-plan. Cette mode étrange est apparue il y a quelques années. Les premières fois, c'est avec stupeur que j'ai vu les gens me tourner le dos, tendre leur appareil à bout de bras et cadrer leur propre visage dans l'objectif de façon que l'on m'aperçoive de loin derrière eux… Maintenant, je sais pourquoi ils font cela. Ils veulent pouvoir prouver, une fois rentés chez eux, qu'ils m'ont bien vue, qu'ils sont réellement allés dans cette salle du Louvre qui m'est consacrée. Je ne les condamne pas, c'est la rançon de ma célébrité. Mais quand même ! M'utiliser comme arrière-plan de leur autoportrait, moi, la Joconde... Quelle impudence !"
"Rien à voir avec le regard vide des touristes qui ne fait que glisser sur moi comme il a glissé, ce regard, sur les divers monuments qu'il est d'usage de visiter quand on vient à Paris. Ces gens pourront dire en rentrant dans leur pays qu'ils m'ont vue, oui, comme ils ont vu Notre-Dame et la tour Eiffel. Ils m'ont vue, mais ils ne m'ont pas regardée."

Jonglant avec habileté entre le passé et le présent, ce roman se termine d'ailleurs par une jolie pirouette surréaliste, assez étonnante, associant justement passé et présent ! Rempli d'anecdotes et de détails historiques qui nous permettent d'apprendre plein de petites choses sans s'en apercevoir, ce roman n'est pas seulement original, il est à la fois pétillant, fin, drôle, joyeux, léger. Mon seul regret ? L'avoir terminé !

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Ateliers Henry Dougier
Date de parution : mars 2019
Couverture : brochée
Format : 14,5 cm x 22 cm
Pagination : 192 pages
ISBN : 979-1-0312-0467-3

Livre numérique

Éditeur : Ateliers Henry Dougier
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jeudi 3 novembre 2016

Les enquêtes de Gordien. Tome 4 : Un Égyptien dans la ville

Un Égyptien dans la ville
Auteur : Steven Saylor
Traduction : Arnaud d'Apremont

Texte de présentation

Une glaciale soirée de janvier 56 avant notre ère. Un couple étrange se glisse dans les rues de Rome vers la demeure de Gordien.
La "femme" n'est autre que Dion d'Alexandrie, philosophe, maître et membre estimé de l'Académie, envoyé à Rome à la tête d'une ambassade. Quant au "jeune homme", c'est un prêtre eunuque du temple de Cybèle.
Si le philosophe est ainsi déguisé, c'est qu'il craint pour sa vie. Au cours des derniers jours, plusieurs membres de sa délégation ont été assassinés.
Mais, avant que le coq ne chante, Dion aura cessé de vivre et l'enquête commence alors pour Gordien.

Mon avis : Excellent


Caractéristiques techniques

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Éditeur : 10/18
Collection : Grands Détectives
Date de parution : novembre 2016
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,7 cm
Pagination : 384 pages
ISBN : 978-2-2640-2846-4

Livre numérique

Éditeur : 12-21
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Lisez ! : ePub –– Numilog : ePub

jeudi 3 mars 2016

Conspirata

Conspirata
Auteur : Robert Harris
Traduction : Natalie Zimmermann

Texte de présentation

Rome, 63 avant Jésus-Christ.
Tandis que la cité romaine est sur le point de conquérir le plus vaste empire jamais connu, sept hommes se livrent une guerre sans merci pour le pouvoir. Cicéron, consul élu et parvenu, César, son redoutable et jeune rival, Pompée, le plus grand général de la République, Crassus, sa plus grande fortune, Caton, dangereux fanatique politique, Catilina, dont les mains sont déjà tachées de sang et Claudius, ambitieux et séducteur.
Les tribulations de ces figures historiques – leurs alliances et leurs trahisons, leur cruauté et leurs manoeuvres, leur intelligence et leurs crimes – sont le matériau fantastique et bien réel de ce thriller trépidant. Grâce à Tiron, esclave et secrétaire particulier de Cicéron, l'Histoire se lit de l'intérieur, à travers les secrets de son maître, personnage complexe, politicien rusé, capable de déjouer les complots les plus machiavéliques de ses ennemis. De meurtres déguisés en sacrifices, en condamnations à mort et procès scandaleux, jusqu'au déchaînement brutal de la foule romaine, Conspirata brosse le tableau à la fois historique et sans âge des horreurs du pouvoir.

Mon avis : Coup de coeur !

Le précédent roman de Robert Harris consacré à Cicéron m'avait enthousiasmé (Imperium), donc j'ai enchaîné avec Conspirata, espérant y retrouver la même envie de ne plus lâcher le livre.
Je précise tout de suite qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu Imperium pour lire ce roman, mais je trouve que cela est préférable pour bien appréhender le chemin parcouru par Cicéron pour accéder au pouvoir, toutes les embûches et complots qu'il lui a fallu déjouer...
Encore un excellent thriller historique (et encore une couverture trop spectaculaire à mon goût !). Lorsqu'on étudie la conjuration de Catilina à l'université, c'est un peu abstrait, un peu "plat", mais là, dans ce roman, je peux vous dire que Catilina fait peur !

Caractéristiques techniques

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Éditeur : Pocket
Date de parution : mars 2016
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,7 cm
Pagination : 448 pages
ISBN : 978-2-2662-0442-2

mercredi 13 mai 2015

Le chevalier de Maison-Rouge

Le chevalier de Maison-Rouge
Auteur : Alexandre Dumas

Texte de présentation

Paris, mars 1793. La Terreur est en marche, et le Tribunal révolutionnaire vient d'être institué. Marie-Antoinette est enfermée au Temple dans l'attente de son procès, dont l'issue semble déjà certaine…
Pourtant, dans l'ombre, un homme, porté par son amour pour la reine, s'affaire à éviter l'inéluctable. Cet homme, c'est le chevalier de Maison-Rouge, dont les gardes nationaux ne parviennent pas à se saisir.
Il aura, dans sa quête, la protection et le soutien de deux fervents royalistes, Dixmer et son épouse Geneviève, ainsi que l'aide de Maurice Lindey, qui, quoique républicain convaincu, est amoureux fou de Geneviève.
Mais cette passion adultérine provoquera le retournement de Dixmer et pourrait précipiter la chute de certains condamnés. C'est compter sans la bravoure du chevalier de Maison-Rouge, prêt à tout pour défendre sa bien-aimée…

En complément


Mon avis : Excellent


Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Archipoche
Date de parution : mai 2015
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 17,8 cm
Pagination : 587 pages
ISBN : 978-2-3528-7760-8

Livre numérique

Gratuit (domaine public)
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jeudi 6 novembre 2014

La dame du Palatin

La dame du Palatin
Auteur : Patrick de Carolis

Texte de présentation

Arelate, l'antique Arles, an 38 après Jésus-Christ. Paulina, fille du riche armateur Pompeius Paulinus, est ballottée de Charybde en Scylla : Taurus, son époux, fuit en Orient avec sa maîtresse et disparaît dans un naufrage. Son fils unique meurt.
Elle embarque alors pour Rome et accoste sur un rivage de l'île de Corsica à cause d'une tempête. C'est là qu'elle rencontre le philosophe stoïcien Sénèque, exilé pour raisons politiques. Après avoir intercédé pour la réhabilitation du philosophe auprès d'Agrippine, la redoutable mère du futur Néron, la jeune Gauloise devient la dame du Palatin en épousant Sénèque. Alors qu'elle commence à apercevoir le bonheur, Paulina est confrontée aux intrigues de la cour, aux complots, aux assassinats et aux frasques de l'empereur sanguinaire.
Accompagnant le philosophe sur le long chemin de la sagesse, Paulina rencontre les personnages les plus célèbres de son siècle et notamment celui qui deviendra Saint Paul, en pleine persécution des chrétiens. Face à la cruauté qui règne sur la cour, Paulina est touchée par ce qui commence à se murmurer dans tout Rome : Dieu est amour…

Mon avis : Excellent


Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Pocket
Date de parution : novembre 2014
Couverture : brochée
Format : 10,8 cm x 17,7 cm
Pagination : 512 pages
ISBN : 978-2-2662-2005-7

Livre numérique

Éditeur : Plon
Format : 7switch : ePub — Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub

mercredi 8 octobre 2014

Les enquêtes de Louis Fronsac. Tome 5 : La conjecture de Fermat

La conjecture de Fermat
Auteur : Jean d'Aillon

Texte de présentation

En ce mois d'octobre 1643, alors que se prépare le congrès de Münster qui décidera du partage de l'Europe et des conditions de la fin de la guerre de Trente ans, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, le comte de Brienne, est en émoi. Quelqu'un intercepte les dépêches codées qu'il envoie à ses ambassadeurs. Y a-t-il un traître au sein du bureau du Chiffre ? Pire, les répertoires secrets servant à la codification sont-ils en possession de l'Espagne ?
Une fois de plus, le cardinal Mazarin va demander à l'ancien notaire, Louis Fronsac, d'enquêter. Plongé au coeur des réseaux d'espionnages de Paris, il aura bien du mal à identifier ses amis et ses adversaires. Pour qui travaille l'ancienne espionne de Richelieu surnommée la Belle Gueuse ? Quel est le rôle du comte d'Avaux, diplomate, Surintendant des finances et négociateur du futur traité de Westphalie ? Quels mystères abritent les sous-sols de l'hôtel de Guise ? Quant au magistrat toulousain Pierre de Fermat, sera-t-il capable de fournir un code inviolable à Antoine Rossignol, chef du bureau du Chiffre ? Dans cette aventure où il paraît n'y avoir que des traîtres et des faux-semblants, Louis Fronsac, capturé et enchaîné dans les sous-sols de l'hôtel de Guise, parviendra-t-il à s'évader pour sauver le congrès de Münster ?

Mon avis : Excellent

Voici un roman historique passionnant sur un thème méconnu, la cryptographie... ouh là, quel mot barbare ! Mais rassurez-vous, rien de terrible, pas besoin d'être un mathématicien pour lire ce roman ! Tout le monde connaît le traité de Münster, mais savez-vous comment se déroulaient ces négociations de manière générale ?
Avec ce roman, vous plongerez dans les arcanes de ces négociations souvent longues, de ce milieu secret et mystérieux peuplé de personnages plus étranges les uns que les autres. Vous y apprendrez, entres autres, que chaque pays concerné envoyait plusieurs ambassadeurs avec leurs conseillers et leurs secrétaires. Les négociateurs rendaient compte des propositions qui leur étaient faites, soit à titre privé, soit à titre public, par les autres négociateurs. Ils envoyaient alors des courriers au ministère des Affaires étrangères qui élaborait une réponse, parfois des contre-propositions, et des courriers ou des estafettes apportaient ces mémoires aux négociateurs. Toutes les correspondances étaient chiffrées et là est le coeur de l'intrigue menée tambour battant par Jean d'Aillon. Le contexte historique est superbement décrit, le style élégant et vif, et les personnages bien dessinés. Et j'ai apprécié qu'il ait réservé les explications plus scientifiques et historiques en fin d'ouvrage pour ne pas interrompre le récit. Que du bonheur !

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Le Masque
Date de parution : octobre 2014
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 18 cm
Pagination : 550 pages
ISBN : 978-2-7024-4161-9

Livre numérique

Éditeur : JC Lattès
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub

mercredi 9 juillet 2014

L'enfant terrible de la Révolution

L'enfant terrible de la Révolution
Auteur : Francis Perrin

Texte de présentation

Charles-Hippolyte de La Bussière, dit La Bussière, est un enfant terrible et le restera jusqu'à sa mort.
Incorrigible farceur, plaisant mystificateur, comédien à ses heures, menant une vie bruyante et dissipée, il se plaît à ne rien prendre au sérieux, jusqu'au jour où, pour se soustraire aux dangers de la Révolution, il réussit à se faire engager au Comité de salut public. Devant l'horreur des exécutions en masse il fait disparaître, par un ingénieux procédé, les pièces d'accusation des dossiers qui lui passent quotidiennement entre les mains, sauvant ainsi de la guillotine plus de mille cent condamnés.
De la Révolution à l'Empire, traversant impunément la Constituante, la Convention, la Terreur, Thermidor, le Directoire, le Consulat, croisant des personnages aussi divers que pittoresques tels que Robespierre, Talma, Latude, Danton, Charlotte Corday, Fouquier-Tinville, Bonaparte, Joséphine de Beauharnais, La Bussière passera les dernières années de sa vie dans l'asile de fous de Charenton, non loin de la cellule du marquis de Sade à qui il contera l'incroyable et pourtant véridique histoire de son existence hors du commun.

Mon avis : Excellent

La découverte d'un auteur
Bien entendu, je connaissais l'acteur et comédien de théâtre, mais pas l'écrivain. Et de l'acteur, principalement les années 1980, l'époque où il jouait des rôles de personnages gaffeurs, naïfs et rêveurs : Le Roi des cons, Tête à claques, Le Joli Coeur, Ça n'arrive qu’à moi... Bref, j'avais une vision totalement partiale et partielle de cet homme, ayant du mal à concevoir qu'on puisse être à la fois acteur et écrivain. Et pourtant, j'ai découvert avec étonnement et beaucoup de plaisir que Francis Perrin est un conteur hors pair et un très bon auteur de romans historiques !

L'histoire vraie d'un personnage oublié
Qui connaît aujourd'hui Charles-Hippolyte de La Bussière, cet homme qui a sauvé des milliers de vies à ses risques et périls sous la Révolution ? Un amuseur public et un comédien certes, mais aussi un homme de coeur qui a fait preuve d'un grand courage, à qui Francis Perrin rend justice !
Dénoncé un beau jour au Comité révolutionnaire pour avoir brisé les bustes de Marat et de Lepeletier sous le coup de la colère, le comédien Charles-Hippolyte de Labussière – il avait éliminé la particule de son nom au moment de la Révolution – échappe de peu à la mort. Cette mésaventure nuit à sa carrière puisque, considéré comme un paria par les gens du théâtre, il ne trouve plus de rôle à jouer. Le hasard le conduit à accepter un poste d'employé au bureau des détenus du Comité de salut public, où il est chargé de classer les dossiers des accusés et d'y insérer les lettres de dénonciation. Écoeuré par ce qu'il découvre alors et refusant de devenir un rouage de la machine à tuer, il décide, avec l'accord du chef central du bureau des détenus, de retarder les jugements en faisant disparaître les pièces compromettantes de certains dossiers. Comment ? Le soir, après avoir détrempé les pièces d'accusation dans l'eau d'un seau, il en fait de petits pâtés de papier placés ensuite dans ses poches et qu'il émiette ensuite en petites boulettes jetées dans la Seine. Hélas, il ne peut pas sauver tout le monde, sinon il serait immédiatement suspecté et guillotiné.
"Je ne faisais pas de substitutions arbitraires mais j'étais bien obligé de laisser passer certaines pièces qu'il m'était impossible de soustraire parce qu'il fallait qu'il s'en trouvât. Je devais accomplir le travail qu'on attendait de moi. Pardon pour ceux que je n'ai pas pu sauver. Ils faisaient partie de mon « gâchis »."
"Je n'étais pas responsable si les victimes en un an étaient passées, par mois, de quinze à cent cinquante. Je n'ai peut-être pas tout le temps fait le bien, mais j'ai, autant qu'il m'a été possible, empêché le mal."
"J'en étais venu à me demander si ce que je faisais avait un sens, si cela servait vraiment à quelque chose. C'était une goutte d'eau dans un lac de sang. Tous ces gens qui mouraient autour de moi, est-ce que cela valait la peine de continuer à vivre ? Il y avait de quoi être las de toutes ces boucheries inhumaines."
Mais, grâce à lui, des milliers de personnes ont échappé à la guillotine. Parmi elles, Joséphine de Beauharnais, La Montansier (directrice de théâtre), les comédiens du Théâtre-Français, Jean-Pierre Florian (poète-dramaturge), le vicomte de Ségur (auteur dramatique qui lui avait marqué de l'attention)...
Après Thermidor, il est chargé de faire libérer les innocents dont les prisons de Paris sont pleines, ceux qu'on a oubliés au fond de leurs cachots. Mais cet homme bon suscite bien des jalousies et évite la prison à plusieurs reprises. Après une énième blague réalisée aux dépens d'un directeur de théâtre, il redevient persona non grata dans le milieu du théâtre et là commence sa lente déchéance. Malgré l'aide de Talma et de quelques autres comédiens qui jouent une pièce dont les bénéfices lui sont reversés, il sombre dans l'alcool et la misère. Un jour, il s'écroule dans la rue et se retrouve à l'hospice d'aliénés de Charenton, où il meurt en 1808, totalement oublié de tous et même de ceux à qui il avait sauvé la vie.
Un grand merci à Francis Perrin pour avoir redonné vie et rendu justice à Charles-Hippolyte de La Bussière, ce "comédien humanitaire", comme le nomme le marquis de Sade dans ce roman.
"Quand vous avez été toute votre vie un plaisantin, un charmeur, un bas-comique, un « inclassé déclassé », peu importe les bonnes actions que vous avez pu faire, vous resterez toujours ce que les autres ont décidé que vous êtes. Aurait-il mieux valu que je sois Fouché, Marat, Carrier, Collot d’Herbois, Robespierre ou Fouquier-Tinville, responsables de milliers de morts, plutôt que celui à qui l'on conteste la véridicité d’avoir sauvé 1 153 têtes ? Je ne vous pose pas la question, j'en connais depuis longtemps la réponse."

Le ton du témoignage et une écriture fluide
C'est Charles-Hippolyte de La Bussière lui-même qui prend la parole à l'hospice de Charenton où il est enfermé. En effet, le marquis de Sade, également enfermé dans cet hospice, a pour habitude d'y organiser régulièrement des soirées théâtrales animées par des aliénés et qui attirent le Tout-Paris. Fasciné et abasourdi par le récit que lui a livré La Bussière, le marquis de Sade a décidé d'organiser cette soirée pour que La Bussière puisse raconter son extraordinaire histoire au public. Mais averti que ce spectacle risquait de calomnier certains hauts représentants du gouvernement, Fouché, ministre de la Police, fait le déplacement, accompagné de deux agents secrets. Après une brève introduction du marquis de Sade, ce dernier s'efface devant celui qui estime qu'il est mieux là où il est que dehors. Commence alors le récit de sa vie...
L'utilisation du "je" est terriblement efficace : sujet du récit, La Bussière raconte ce qu'il fait, ce qu'il pense, ce qu'il ressent... Le lecteur ne peut que se mettre à la place de ce "je" ; tout en lisant, il ressent immédiatement ses craintes, ses espoirs, ses désillusions, ses peurs...
Francis Perrin ne fait pas de chichis, l'écriture est simple, sans apprêt, donnant au roman un rythme qui colle bien avec le ton du témoignage, de la confession. Il parvient à nous présenter le héros de ce roman et à installer le contexte historique sans nous ennuyer avec des détails interminables. Tout s'imbrique merveilleusement bien au point qu'on est transporté plus de deux cents ans en arrière aux côtés de ce personnage fantasque et attachant. On a ainsi la sensation d'être en permanence aux côtés de La Bussière, de déambuler avec lui dans les rues de la capitale, d'assister avec lui aux divers événements de cette période troublée. Cela donne un côté très vivant, très dynamique et spontané au roman. On sent que l'auteur est très attaché à son personnage et il s'efface pour mieux mettre en avant l'astucieux courage dont La Bussière a fait preuve.

Une bonne retranscription de l'atmosphère de l'époque
Grâce à ce témoignage, on est aux premières loges de la Révolution ! On vit aux côtés de La Bussière sous la Constituante, la Convention, la Terreur, Thermidor, le Directoire et le Consulat. On croise des personnages aussi divers que pittoresques, qu'ils soient réels ou inventés : Camille Desmoulins, Talma, La Montansier, Fouquet-Tinville, Maximilien Robespierre, Charlotte Corday, Marat, Barras, Hébert… Parcourant la ville sous toutes ses coutures aux côtés de La Bussière, on assiste à tous les événements : montée de la colère du peuple, harangues au Palais-Royal, prise de la Bastille, abolition des privilèges et des droits féodaux, journées d'octobre, jour de la fête de la Fédération, assassinat de Lepeletier de Saint-Fargeau, insurrection de la Vendée, assassinat de Marat… On ressent aussi l'atmosphère poisseuse de la Terreur, période de dénonciations par excellence où tout un chacun pouvait se retrouver du jour au lendemain, sans raison, dans la charrette conduisant à l'échafaud.

Une plongée passionnante dans le milieu du spectacle
Le théâtre sous la Révolution ? Un angle d'approche original pour un sujet rarement abordé dans le cadre du roman historique, donc un sujet passionnant ! Francis Perrin nous fait découvrir ce qu'était le théâtre à cette période, les relations entre les comédiens, entre les théâtres, la vie culturelle d'alors, les pièces plébiscitées, les grands comédiens (Talma, Dugazon, Grandmesnil, Naudet, Champville, Dazincourt, Lachassaigne, Raucourt, etc.)... et c'est assez étonnant !
On découvre l'importance du théâtre à cette période, son rôle culturel mais aussi politique, et la toute-puissance du public qui pouvait, par des interventions assassines, arrêter du jour au lendemain une pièce : c'est impressionnant !
Il existait des rivalités entre les comédiens et entre les théâtres. Au début du roman, on découvre La Bussière souffleur de théâtre, poste d'observation idéal des comportements des comédiens : mesquineries, égocentrisme, jalousies, mépris, scélératesses, les comédiennes et comédiens ne s'épargnent rien ! Mais à ces rivalités professionnelles s'ajoutent bientôt les querelles entre pro et antirévolutionnaires. Il est difficile pour le lecteur contemporain de saisir les sous-entendus et les interprétations contenus dans les pièces de théâtre d'alors, mais ce roman nous permet d'en avoir un aperçu grâce à l'évocation du scandale provoqué en 1790 par la pièce Charles IX de Marie-Joseph Chénier, que les nobles estimaient outrageante mais qui ravissaient les hommes d'État libéraux comme Mirabeau. C'est à la suite de la représentation de cette pièce que la troupe de la Comédie-Française (devenu en 1789 le Théâtre de la Nation) se divise entre révolutionnaires et les autres sociétaires qui refusent de jouer avec Talma (qui joue le rôle de Charles IX). Exclu de la Comédie-Française en 1791, Talma s'installe avec d'autres membres de la troupe rue de Richelieu, au Théâtre de la République.
Ainsi, si le Théâtre de la République regroupe les partisans des idées nouvelles, le Théâtre de la Nation est le lieu de rendez-vous des monarchistes. On se livre bataille à chaque création de pièce : à chaque lever de rideau, on s'injurie, on se bouscule, on se menace… Le 3 septembre 1793, le Comité de salut public ordonne la fermeture de la Comédie-Française et l'emprisonnement des comédiens (qui seront sauvés de la guillotine grâce à La Bussière), ainsi que François de Neufchâteau, l'auteur de Paméla, pièce jugée contre-révolutionnaire.
Autres aspect intéressant concernant le théâtre : il est étonnant de voir le scandale provoqué par Talma en novembre 1790 quand il apparut sur scène en costume romain alors qu'il jouait le rôle du tribun Proculus dans Brutus de Voltaire. En effet, tandis que ses compagnons sont en perruque poudrée, bas et habits de soie, et éventails, Talma entre en scène vêtu en Romain, drapé dans une toge en laine et chaussé de sandales, bras et jambes nus, cheveux courts. En effet, il propose de jouer les personnages vêtus selon leur temps, et non selon la mode contemporaine : il recherche la vérité historique. C'est une révolution dans le théâtre !

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : J'ai lu
Date de parution : juillet 2014
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 17,8 cm
Pagination : 278 pages
ISBN : 978-2-2900-9470-9

Livre numérique

Éditeur : Plon
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub

mercredi 28 août 2013

Les enfants d'Alexandrie

Les enfants d'Alexandrie
Autrice : Françoise Chandernagor

Texte de présentation

"En ce temps-là, le monde était jeune, et Alexandrie, la plus belle ville du monde. Au ras des flots, la « Très-Brillante » éblouissait par sa blancheur. Blanches, les terrasses de pierre tendre, les colonnes d'albâtre, les avenues pavées de marbre, et blanc, le grand Phare..." Alexandrie : joyau d'un empire qu'Antoine et Cléopâtre vont entraîner dans leur chute.
Des amours de l'Imperator et de la reine d'Égypte étaient nés trois enfants : des jumeaux magnifiques, fille et garçon, brune et blond, puis un bébé fragile. Princes éphémères, qui grandissaient dans l'or et la pourpre du Quartier-Royal auprès de leur demi-frère aîné, l'enfant-pharaon né de César et de Cléopâtre. Tous si jeunes encore, si protégés, si confiants, quand la tourmente s'abattit sur eux. Quatre enfants au destin tragique.
Âgée de 10 ans lors de la prise de la ville et du suicide de ses parents, la petite Séléné, unique rescapée de cette illustre famille, n'oubliera jamais l'anéantissement de son royaume, de sa dynastie, de ses dieux. Prisonnière en terre étrangère, elle va vivre désormais pour venger ses frères et faire survivre dans le monde des vainqueurs la lignée des vaincus.
Avec la sensibilité d'écriture et la force romanesque qui ont fait de L'Allée du Roi un classique, Françoise Chandernagor s'empare de la vie méconnue de la dernière des Ptolémées, la Reine oubliée. Explorant vérités et silences de l'Histoire, elle questionne un passé deux fois millénaire. Un récit singulier, haletant. Une fresque grandiose.

Grand prix Palatine du roman historique 2011.

Mon avis : Excellent

Un sujet inédit
Si l'on connaît "bien" Cléopâtre – du moins à travers ce qu'ont bien voulu nous en transmettre ses contemporains et, plus tard les historiens, peintres, écrivains, etc. – il n'en va pas de même de sa descendance. Saviez-vous que Cléopâtre, reine d'Égypte au Ier siècle avant Jésus-Christ, avait eu quatre enfants ? Césarion, dont le père était César, les jumeaux Cléopâtre-Séléné et Alexandre-Hélios, et Ptolémée Philadelphe, ces trois enfants ayant eu pour père Marc Antoine. Quatre enfants aux destins tragiques, tombés dans les oubliettes de l'Histoire. Peu ou pas de documentation : il en fallait du cran pour relever le défi de faire revivre sous sa plume ces personnages, et ce sur trois tomes en plus ! Si Françoise Chandernagor embrasse tout à la fois ces personnages et cette époque très riche et très mouvementée, il n'en demeure pas moins que son sujet est avant tout et surtout Séléné, seule rescapée du "nettoyage" ordonné par Octave (futur Auguste) après la mort de Marc Antoine et de Cléopâtre.

Une fresque grandiose
Le décor : imaginez... Alexandrie au Ier siècle avant Jésus-Christ, la ville la plus vaste et la plus peuplée du monde connu d'alors. Une ville moderne située entre la mer et le désert, bâtie en damier. "Au ras des flots, la « Très-Brillante », comme l'appelaient les voyageurs, éblouissait par sa blancheur : blanches, les maisons basses, leurs terrasses de pierre tendre, les colonnes d'albâtre, les avenues pavées de marbre, et blanc, le grand Phare, « la plus haute tour du monde », dressé comme un aviron géant, comme une gouverne, au milieu des vagues." À cela, ajoutez le cap Lokhias avec ses multiples palais, ses tombeaux, sa Bibliothèque, son jardin botanique, son observatoire…
C'est dans ce lieu extraordinaire que grandissent les enfants sous l'oeil bienveillant de Cléopâtre et de Marc Antoine. Si le roman débute dans la douceur et la félicité, il se teinte progressivement de tristesse et d'inquiétude à mesure que le conflit entre Marc Antoine et Octave prend de l'ampleur, s'achevant sur la défaite de Marc Antoine et sa mort. Mélangeant habilement la petite histoire et la grande histoire, Françoise Chandernagor n'est pas là pour nous donner un cours d'histoire, préférant nous décrire de manière très réaliste et vivante la vie quotidienne de cette famille royale, les caractères de chacun : Césarion, enfant sérieux et conscient de son futur rôle, Ptolémée Philadelphe souffreteux… Le portrait que brosse Françoise Chandernagor de Marc Antoine est particulièrement touchant : amoureux, bon père, beau, intelligent, honnête, généreux, sensible, il a eu le tort d'être trop naïf et indulgent vis-à-vis d'Octave qui l'a trahi sans aucun scrupule. Loin de ressasser les clichés habituels qui collent à ce couple souvent décrit comme sulfureux, Françoise Chandernagor nous le présente avec beaucoup d'humanité et de tendresse. C'est étonnant, inhabituel ! On prend alors vraiment conscience de la force de la propagande d'Octave, puisque celle-ci a traversé les siècles…

Un début de roman déroutant et une narration à double niveau
Ne sachant pas de prime abord qui était le narrateur, j'ai été décontenancée par l'épisode du cauchemar, qui est, en réalité celui fait par Françoise Chandernagor elle-même. Cauchemar au cours duquel elle voit une jeune fille enchaînée déambuler dans les rues de Rome. Elle finit par découvrir qu'il s'agit de Séléné, qui, à 10 ans, a dû quitter Alexandrie, prisonnière d'Octave, et participer enchaînée à son triomphe à Rome. Qui était-elle ? Que s'était-il passé ? Qu'est-elle devenue ? Au terme de son enquête, Françoise Chandernagor a décidé de rendre justice à tous ces personnages oubliés de l'Histoire (citons aussi Antyllus, fils de Marc Antoine et d'une de ses précédentes épouses, et Iotapa, petite fiancée mède d'Hélios) ou dont l'image a été manipulée à travers cette trilogie.
Mené par un narrateur omniscient, Françoise Chandernagor en l'occurrence, le récit s'organise autour du personnage de Séléné, que nous suivons comme si nous étions à ses côtés. C'est là l'avantage de ce mode de narration : on a connaissance de tous les détails de l'histoire, des événements, des pensées et sentiments des personnages...
Très inhabituel, l'intervention récurrente de Françoise Chandernagor tout au long du récit. C'est à double tranchant : si cela peut dérouter le lecteur, le déconcentrer, le "faire sortir" du roman et, au final, le décourager de poursuivre sa lecture, cela peut aussi lui apporter un deuxième niveau de lecture et je dois dire que vu la qualité des interventions de Françoise Chandernagor, je me suis retrouvée immédiatement dans le second cas : c'est passionnant, novateur, frais, parfois drôle ! Une note de l'auteur en fin d'ouvrage, là encore de haute volée, lui permet d'exposer les difficultés auxquelles elle a été confrontée et les choix d'écriture qu'elle a faits : vocabulaire et syntaxe, noms des villes, des royaumes, pays, des peuples, des personnages...

Le parti pris du parler vrai
C'est justement dans cette note en fin d'ouvrage qu'elle justifie son choix et cela a été pour moi une révélation : nos ancêtres lointains étaient des hommes comme les autres et n'utilisaient pas la langue grandiloquente et maniérée que les tragédies de Corneille ou de Racine et les manuels scolaires nous ont fait croire ! Leur niveau de langue était le même que le nôtre, teinté de familiarité. D'ailleurs, grâce à Françoise Chandernagor, j'ai découvert que, depuis quelques années, de nouvelles traductions, respectant davantage la réalité du langage d'alors, avaient été publiées. Citons par exemple les Épigrammes de Martial (Dominique Noguez, éditions Arléa) et Tristes Pontiques d'Ovide (Marie Darrieussecq, P.O.L.). S'inscrivant dans ce courant novateur, Françoise Chandernagor fait parler ses personnages comme des humains, parfois crûment, parfois familièrement. Cela en déroutera peut-être certains ; pour ma part j'ai apprécié ce dépoussiérage, ce vent de fraîcheur, qui contribue à rendre le récit très proche de nous.
"[…] dans ce livre, Antoine, Cléopâtre, Auguste ou Tibère, faute de pouvoir discourir en latin ou en grec, ne parleront pas non plus en « Corneille aplati » ni en « basic Racine ». Ils parleront en « chair humaine », chair impure, remuante, malodorante, certes, mais jeune, éternellement. Sans sacrifier aux modes langagières du moment, j'ai souhaité que les enfants s'expriment ici comme des enfants (ou comme nous pensons, aujourd'hui, que peuvent s'exprimer des enfants), les politiques comme des politiques, et les soldats comme des soldats.
J'ai même parfois restitué à la langue une crudité qui était de mise en ce temps-là, mais que nos maîtres ont pudiquement dissimulée à leurs élèves."

Un travail de fourmi
Comment écrire un roman historique tout en sachant que, comme l'auteur le rappelle dans sa note, "le roman historique le mieux documenté hurle le faux dès que les personnages ouvrent la bouche" (Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire) ? Pour éviter de donner à son roman un côté artificiel, Françoise Chandernagor s'est fixé quelques règles concernant notamment l'écriture des lieux, la description des personnages et, comme nous venons de le voir, le niveau de langue utilisé. Dans sa passionnante note, elle explique aussi les limites de l'Histoire et de la fiction : quand la documentation s'est révélée inexistante, elle s'est autorisée à faire appel, mais de manière pondérée et raisonnée, à son imagination. Mais lorsque la documentation est là, l'auteur ne néglige aucun détail, par exemple concernant les cultes et fêtes religieuses, la sexualité, les différentes formes de suicide (égorgement, décapitation, empoisonnement...), la momification, les repas (nourriture, vins...), les vêtements, les batailles...
Car, comme elle le rappelle très bien, lorsqu'on écrit un roman se déroulant à une époque très reculée, la principale difficulté ne réside pas tant dans l'établissement des faits que dans la restitution des gestes ordinaires de la vie. En tout cas, ce mélange subtil entre réalité historique et fiction donne un roman très convaincant, riche, passionnant ! J'ai hâte de découvrir l'ensemble de sa bibliographie qui figurera à la fin du troisième volume.

Caractéristiques techniques

Livre papier

Éditeur : Le Livre de poche
Date de parution : août 2013
Couverture : brochée
Format : 11 cm x 18 cm
Pagination : 408 pages
ISBN : 978-2-2531-7740-1

Livre numérique

Éditeur : Albin Michel
Format : 7switch : ePub –– Amazon : Kindle –– Decitre : ePub –– ePagine : ePub –– Fnac : ePub –– Numilog : ePub